ional des ft)uilles ,t voor Opgravingen
z
5
ARCHAEOLOGIA
BELGICA
166
Anne CAHEN-DELHA YE
FOUILLES DANS LES TOMBELLES
DE LA TENE EN ARDENNE
(1970-1972)
Extrait des
Annales du XLIIe Congrès de la Fédération Archéologique, Historique et Folklorique de Belgique, 1.
BRUXELLES 1974
ARCHAEOLOGIA BELGICA
Dir. Dr. H. Roosens
Etudes et rapports édités par Ie Service national des Fouilles
Pare du Cinquantenaire 1 1040 Bruxelles
Studies en verslagen uitgegeven door de
Nationale Dienst voor Opgravingen Jubelpark 1
1040 Brussel
ARCHAEOLOGIA
BELGICA
166
Anne CAHEN-DELHA YE
FOUILLES DANS LES TOMBELLES
DE LA TENE EN ARDENNE
(1970-1972)
Extrait des
Annales du XLIIe Congrès de la Fédération Archéologique,
Historique et Folklorique de Belgique, I.
BRUXELLES 1974
1. INTRODUCTION
Le Service national des Fouilles a entrepris l'étude systémati-que des tombelles, larges buttes funéraires aplanies, dont l'aire de dispersion couvre les hauts plateaux ardennais depuis Orgeo jusqu'à Bovigny, via Neufchateau, Bastogne et Houffalize (fig. 1). Ces trois dernières années, une dizaine de tombelles ont fait l'objet d'une exploration systématique : les tertres ont été dé-capés horizontalement jusqu'au sol vierge selon la méthode des quadrants.
Les fouilles de ces sépultures apportent des éléments nou-veaux et des précisions importantes à notre connaissance des groupes de populations qui occupèrent dès Ie début du second age du fer les crêtes d'Ardenne. Leurs coutumes funéraires les distinguaient des habitants des régions voisines : il s'agit essen-tiellement de l'érection, au-dessus d'une ou plusieurs sépultures, de tertres de forme circulaire ou ovale, isolés ou groupés, dont Ie nombre atteint parfois soixante unités. Ces buttes dont Ie diamètre oscille entre 5 et 25 m atteignent actuellement des hau-teurs variant de 0,10 à 1 m. Les cimetières s-0-nt' localisés à proxi-mité immédiate des hauts sommets dont l'altitude est supérieure à -40fi m et dépasse sou vent 450 m (1).
Le début de l'exploration ~cientifique des tombelles arden-naises remonte à 1896, lorsque Ie baron de Loë entreprit dans la commune de Sibret, voisine de Bastogne, la fouille de six tertres tumulaires (2). La comparaison du mobilier funéraire recueilli dans ces sépultures avec les offrandes découvertes dans les nombreuses nécropoles de Champagne lui permit d'affirmer l'existence d'une occupation des Ardennes dès l'époque de La Tène.
Il fallut ensuite attendre les travaux d'Edmond Rahir en 1928 et de Jacques Breuer en 1930 dans la région de Bovigny, en bordure du plateau des Tailles, pour voir l'exploration des tombelles connaître un regain d'intérêt (3).
Depuis lors et surtout depuis 1942, de nombreuses fouilles furent entreprises, en particulier dans la région de Neufchateau (1) Ces peuplades partagent le même rite de l'érection de tombelles
à proximité des points culminants avec la civilisation contemporaine du Hunsrück-Eifel.
(2) Communication de M. de Loë. Exploration des tombelles de Sibret dans Bulletin de la Société d'Anthropologie de Bruxelles, XVI, 1897-1898, pp. 260-264.
(3) E. RAHIR, Vingt-cinq années de recherches, de restaurations et de reconstitutions, Bruxelles, 1928, pp. 265-266; A. CAHEN-DELHAYE, Tombelles celtiques de la région de Bovigny. Fouilles J. Breuer dans
trois groupes de sé'[JUltures en 1930 dans Ardenne et Famenne, 11, 1968-69, pp. 139-173 (= Arch. Belgica 122).
Plateaux: altitude de 600 à 700m [2] Plateaux: altitude de 400 à 600m
IT8J
Zone d' occupation des tombellesFig. 1. - Carte de la répartition des tombelles de l'age du fer en Ardenne.
ou elles furent stimulées par M. A. Geubel qui fut et est encore le promoteur de ces recherches ( 4).
D'autre part, depuis quelques années, la région de Bovigny est systématiquement prospectée par le Cercle Segnia (5).
Ces deux pöles, Neufchäteau et Bovigny, séparés par une
(4) Il y a lieu de signaler l'exploration des tombelles au nord-est de Neufch§.teau entreprise par M. P. Bonenfant en 1961, puis de 1965 à
1969, les fouilles de ces quatre dernières années étant malheureusement restées inédites. Pour une bibliographie exhaustive jusque 1968 des fouil-les et recherches dans les sépultures de La Tène dans Ie pays de Neufchàteau, voir A. GEUBEL, Chronique des fouilles dans les nécro-poles à tombelles de La Tène en Ardenne belge dans Miscellanea
Archaelogica in honorem J. Breuer, Bruxelles, 1962, pp. 59-62 (
=
Arch.Belgica 61) ; ID., L'archéologie dans la terre de N eufcháteau dans Terre de Neufchateau (Catalogne de l'exposition), Gembloux, 1968,
p. 28.
TOMBELLES EN ARDENNE 9
distance de 50 km environ, constituent en quelque sorte deux zones extrêmes dans la répartition de nos tombelles. D' impor-tantes divergences, surtout dans Ie mobilier funéraire, sa compo-sition et ses types, distinguent les sépultures des deux contrées. Ces profondes différences ont déjà permis de diviser les torn-belles ardennaises en deux groupes distincts (6) : l'un occupe la bordure est et sud du plateau des Tailles, soit la région centrée autour de Bovigny, l'autre, la ligne de faîte comprise entre Neufchateau et Bastogne.
2. LE PLATEAU DES TAILLES
En 1970 et 1971, sur le territoire de la commune de Bovigny,
respectivement près des hameaux de Rogery (au lieu-dit Le
Rovreux) et d'Halconreux (Les Cmounes), nous avons exploré trois tertres remarquables par leur superficie et leur hauteur (7). Aucun n'a livré de fosse sépulcrale mais un bûcher qui contenait des ossements incinérés et quelques offrandes.
Dans la tombelle I de Rogery, outre quelques tessons d'une céramique épaisse et façonnée sans l'aide du tour, éparpillés dans le remblai du tertre, nous avons trouvé un foyer centra} de près de 2 m de diamètre dont il subsistait une épaisse couche de charbon~ de bois. Le feu qui fut certainement violent avait été éteint à l'aide de gros bloes de grès, comme en témoignait leur face déposée sur les cendres, rougie par les braises. Ces moellons, jetés les uns à cöté des autres recouvraient, sur une épaisseur de 0,20 à 0,35 m, la totalité du foyer et s'étendaient même à sa périphérie.
Dans la couche de cendres, nous avons pu récolter pêle-mêle 50 grammes seulement de petits débris osseux calcinés, très vraisemblablement humains, plusieurs tessons appartenant à un vase, une pointe de flèche, une petite douille et une tige en fer. Le vase affecte une forme qu'il convient de décrire pour les analogies qu'elle présente avec des récipients découverts dans des sépultures du Hunsrück et de l'Eifel, datés de la fin de la première phase de La Tène (350-250 avant notre ère) : il est muni d'un pied pourvu d'un grand anneau de base en ressaut sur le bas de la panse tronconique, une large épaule arrondie, un col court orné de cordons saillants et une lèvre évasée ; en outre,
plusieurs groupes équidistants de trois incisions parallèles agré-mentent la panse (fig. 2,1).
La pointe de flèche, munie d'une douille, possède un fer triangulaire, aplati et tranchant, sans nervure médiane et apenne ; elle trouve des parallèles parmi les pointes du Hunsrück-Eifel
(6) A. GEUBEL, Chronique des fouilles ... , loc. cit., pp. 56-59; M.E. MARIEN, Tribes and Archaeological Groupings of the La Tène Period in Belgium : Same Observations dans The European Community in Later
Prehistory. Studies in IIonour of C.F.C. Hawkes, Londres, 1971, pp. 218-219.
(7) A. C(AHEN)-D(ELHAYE), Bovigny : tombelle celtique dans Archéolopie, 1970, 2, pp. 85-86; ID., Bovigny : tombelles de la Tène avec foyer dans Archéologie, 1971, 2, p. 108.
2 4 3 I / 5 \
F'ig. 2. - Céramique. Les vases 1 et 2 proviennent de Bovigny (Rogery et Halconreux), les vases 3 et 5 ont été découverts à Hamipré (La Hasse).
TOMBELLES EN ARDENNE 11
également. Cette arme indique que le personnage incinéré était du sexe masculin.
La tombelle II de Rogery, un peu plus petite et plus basse que sa voisine, ne recelait pas un bûcher central mais deux petits foyers excentriques de 1 m et 0,80 m de diamètre, situés
à la base même de l'humus actuel. L'un d'eux a livré quelques esquilles d'os calciné et 29 petites perles de bronze déformées par la chaleur, offrande qui signale sans doute une incinération féminine. L'autre foyer ne contenait qu'un seul élément de fer qu'il n'a pas été possible d'identifier.
Enfin, à quelque 5,5 km au sud de Rogery, à proximité d'Halconreux, dans un groupe de quatre tertres, nous avons examiné le plus grand d'entre eux : il renfermait un important bûcher central de 3,40 m de diamètre. Aux cendres de ce foyer étaient mêlées de nombreuses esquilles d'os brûlé, plusieurs fragments de fer que la corrosion avait rendus méconnaissables et des tessons de céramique.
Il y a lieu de mentionner que, à quelques mètres de ce tertre, une tombelle fouillée par le Cercle Segnia a également livré un foyer dans lequel gisait, en fragments, une bouteille typique de la fin de la phase I de La Tène avec large panse et haut col agrémenté de cordons horizontaux (fig. 2,2).
~
OFFAINGSSE
Fig. 3. - Carte de la regwn de Neufchûteau et situation des tombelles fouillées par le S.N.F. de 1970 à 1972.
.
Dans les trois tombelles que nous avons explorées, notre at-tention a été attirée par Ie fait que les foyers résidaient toujours
à une profondeur nettement moindre que la hauteur même du tertre, sur un sol remanié. Dès lors, il paraît peu probable que ces feux furent allumés sur la surface ancienne, celle sur laquelle repose la base du remblai qui constitue Ie mamelon. Cette consta-tation nous porte à croire qu'une petite butte avait été édifiée préalablement à l'incinération du mort, opération à la suite de laquelle la butte aurait été rehaussée.
Aucun dispositif tel un fossé circulaire, un cercle de pieux ou de pierres, ne ceinturait ces monticules.
*
* *
Il faut remarquer que ces monuments dont l'édification a certainement nécessité un important travail de terrassement, abritaient des défunts accompagnés sur le bûcher d'offrandes relativement pauvres, tant par leur qualité que par leur nombre. Les résultats de ces fouilles récentes viennent éclairer les découvertes faites par Breuer en 1930, sur Ie territoire de Bovi-gny, près du hameau d'Honvelez (au lieu-dit Péréwé) ou trois
tertres d'assez grandes dimensions également, n'abritaient cha-cun qu'un simple foyer (8).
3. LA REGION DE-·BA-STOGNE
A Villers-la-Bonne-Eau, près du hameau de Remoifosse (lieu-dit A Chiversoux) situé le long de la grand-route de
Mar-che à Luxembourg, à 4 km au sud de Bastogne, nous avons fouillé en 1972 un couple de grandes tombelles juchées à une altitude dominante de 535 m (9). Malheureusement, ces deux monuments n'ont guère livré d'informations relatives aux défunts qu'ils devaient abriter, à leur appartenance, comme à leur époque d'enfouissement.
Au centre de la première butte, une grande fosse sépulcrale ovale, profondément entaillée dans Ie sol vierge après l'édifica-tion du tertre comme en témoignait le profil du remblai qu'elle recoupait, ne renfermait, comme seul vestige, qu'un tout petit foyer de 0,30 m sur 0,40 m, à une profondeur de 0,60 m sous le sol actuel et 0,30 m au-dessus du fond de la fosse. Cette parti-cularité, unique à notre connaissance, fait songer à un petit feu rituel, peut-être un simulacre d'incinération ou un feu allumé pour brûler ou cuire des offrandes (10).
(8) A. CAHEN-DELHA YE, TombeHes celtiq11es de la région de
Bovigny ... , loc. cit., pp. 164-168.
(9) A. C(AHEN)-D(ELHAYE), Tombelles du second age du fer près
de Bastogne dans Archéologie, 1972, 1, pp. 22-23.
(10) Il y a lieu de mentionner Ie fait que Ie sol acide des plateaux ardennais a partout dissous les restes osseux non calcinés ; au maxi-mum, Ie squelette a-t-il pu laisser une trace plus foncée ou une ombre dán~-da ferre ; seule, la proximité d'un objet de bronze a parfois permis
1
TOMBELLES EN ARDENNE 13
A 5 m de cette sépulture démunie de mobilier, un petit foyer avait été allumé à la base du tertre.
Seuls deux tessons de vases façonnés sans l'aide du tour,
trouvés dans Ie remblai de la butte, permettent d'assigner Ie
monument à l'age du fer.
Par contre, la seconde tombelle a livré près de 300 tessons
éparpillés dans Ie remblai du mamelon, grossiers et fins, lisses ou
décorés au doigt ou au peigne, ayant appartenu à de nombreux
vases de qualité différente, mais tous fabriqués à la main. Cet
ensemble fait songer à une céramique domestique, généralement
fort diversifiée, plutöt qu'à des vases funéraires. Toutefois, la
présence de ces fragments vers Ie centre du tertre uniquement
et leur disparition vers les bords de la tombelle, exclut
l'hypo-thèse de la proximité immédiate d'un site d'habitat dont les
vestiges auraient été incorporés fortuitement dans Ie remblai de la tombelle.
Un fragment de planche consumée, exhumé très près de la
base de la terre arable, pourrait représenter un vestige de
cer-cueil : ce serait alors Ie seul témoin d'un éventuel ensemble
funéraire dans cette tombelle curieusement dépourvue de fosse sépulcrale.
Géographiquement, il convient de rapprocher ces quelques
données fournies par nos fouilles des découvertes faites au siècle
dernier par de Loë à Sibret et des résultats de l'exploration
rapide en 1936 de deux tombelles situées sur la commune d'Hol-lange (11) : ces deux groupes de monuments avaient livré des
~ pultures à inhumation avec un mobilier caractéristique de la
phase I de La Tène : fers Ie lance ou de javelot, torques et
bracelets de bronze, vases. On peut dès lors se demander si les
deux tertres de Villers-la-Bonne-Eau appartiénnent à la même
époque.
4. LE PAYS DE NEUFCHATEAU
Les tombelles fouillées jusqu'à ce jour dans la région de
Neufchateau sont dans !'ensemble plus nombreuses et plus riches
en informations que celles des autres contrées. Comme elles
présentent de nombreuses affinités entre elles et que toutes
semblent dater du début de La Tène, il nous paraît plus judicieux
de synthétiser les données que nous avons acquises au cours de
nos explorations plutöt que de détailler chacune de nos fouilles
et d'en énumérer les résultats (12).
(11) Cf. note 2 et J.V. TROISIER, Les fouilles de deux tombelles à Hollange dans Bulletin trimestriel de l'lnstitut Archéologique dn
Luxembourg, LXVIII, 1937, pp. 4.3-44.
(12) Notre étude se fonde sur une trentaine de sépultures e xami-nées par nous et huit autres qui ont fait l'objet d'une publication quelque peu détaillée : P.P. BONENF ANT, Sept tornbelles de La Tène I en
Ardenne. Fouilles à Sainte-Marie-Chevigny (prov. de Luxemb-ourg) en 1961 dans Ardenne et Famenne, 8, 1965, 1, pp. 1-51 (
=
Arch. Bel<Jica 83) ; A. GEUBEL, La tombe celtique de La Hutte dans 1~:A~~l!JClassique, 14, 1945, pp. 167-172. :~ 'Il
) ~
n,
1
A Hamipré, La Rasse, nous avons achevé en 1970
l'explora-tion d'un petit groupe de quatre tombelles entamée en 1952 sous
la direction de M. J. Mertens (13) (fig. 3) ; en 1971, à Assenois,
près de la chapelle du Sart, nous avons fouillé une tombelle ap-paremment isolée et, la même année, un autre tertre à Tournay
(lieu-dit A Roiveau). Enfin, dans un site d'Hamipré, au nord du
hameau d'Offaing (Au Grand Paquis), nous avons mis au jour
en 1971 et en 1972 onze tombes réparties sous deux tombelles et,
découverte actuellement unique dans nos Ardennes, un groupe de dix sépultures plates que nous avons repéré gräce à une légère ondulation de terrain et surtout par une coloration plus claire du sol (14).
A. LES RITES FUNERAIRES
Dans la région de Neufchäteau, les tertres présentent un diamètre qui varie de 8 à 24 m pour une hauteur qui dépasse
rarement 0,30 m. Chacun recouvrait au minimum une fcsse
sépulcrale. Les fouilles récentes, effectuées selon les méthodes modernes du décapage horizontal systématique de toute la butte, ont révélé que certaines tombelles abritaient jusqu'à six sépul-tures séparées entre elles par une distance qui oscillait de 0,50 m
à 7 m et dont certaines se trouvaient à 8 ou même 10 m du
centre apparent du mamelon.
Outre les sépultures recouvertes d'un tertre, nous connais-sons un seul exemple d'un ensemble de tombes plates, à Offaing, contemporaines des sépultures découvertes sous deux tombelles voisines. Dans ce groupe, les fosses étaient séparées par une distance maximum de 2 m, certaines étaient même contiguës.
Jusqu'à présent, nous n'avons trouvé que des sépultures- à
inhumation. Néam;noins, des fouilles antérieures avaient révélé,
dans le groupe ·de N eufchäteau, l'existence d'incinérations (15).
Les fosses sépulcrales offraient généralement des dimensions
importantes : 2,30 à 2,50 m de long pour 0,90 m de large en
moyenne. Leur contour était rectangulaire, sinon légèrement trapézoïdal. Les angles étaient arrondis, les parois assez
verti-cales et le fond régulier, plat ou en cuvette (fig. 4).
Leur profondeur, relevée à partir de la surface actuelle,
variait de 0,20 m (soit à la base même de l'humus) à 1,10 m.
Certaines sépultures reposaient donc dans le remblai même du
tertre, tandis que d'autres étaient creusées dans le sol en place, plus ou mains profondément selon la dureté de la roche.
(13) A. GEUBEL, Hamipré (Lux.) dans L'Antiquité Classique, 22, 1953, l, p. 122; J. M(ERTENS), Hamipré (Lux.) dans L'Antiquité
Classi-que, 23, 1954, 2, p. 433.
(14) A. C(AHEN)-D(ELHAYE), Assenois, To1irnay, Hamipré : tom-belles de La Tène dans Archéologie, l97l, l, pp. 29-30, ID., Hamipré, Offaing, tombelle avec sépulture à char dans Archéologie l97l, 2, pp. J.08-109. ID. Hamipré, Offaing : nécropole de La Tène I dans Archéologie, 1972, 1, pp. 21-22.
(15) P.P. BONENFANT, loc. cit., pp. 12, 38-39, P. B(ONENFANT),
Juseret ( Lux.) : tombes à char de La Tène I, dans Archéologie, 1966, 2, p. b2.
TOMBELLES EN ARDENNE 15
L'orientation des tombes ne semblait obéir à aucune règle stricte.
Il faut souligner que, généralement, le remblai des fosses
n'était pas constitué des déblais de celles-ci qui étaient d'ailleurs amoncelés sur les bords de la cavité sépulcrale, mais d'une terre qui se différenciait du sol environnant par une plus grande fine
s-se et surtout par une coloration brune plus foncée, gràce à
laquelle nous pouvons repérer aisément la présence de tombes
et suivre leurs contours.
Si l'acidité du sol a détruit jusqu'à l'ossature des défunts,
dans plusieurs fosses, nous avons cependant retrouvé le bois du
cercueil qui s'est conservé en se consumant : il se présentait sous
forme d'une sorte de charbon de bois, généralement préservé sur
une très faible épaisseur (fig. 4). La présence de deux pellicules de bois séparées par une fine couche d'argile nous porte à croire qu'il s'agissait d'un cercueil à couvercle plutot que d'un simple
tronc d'arbre évidé. Dès lors, les planches devaient être ass
em-blées par tenons, chevilles et mortaises si l'on en juge par l'absence de toute trace de clou. Outre le corps du défunt, la caisse abritait parfois certaines offrandes tels un vase ou des javelots.
Il reste à mentionner la présence sporadique, sur Ie fond des
fosses, d'un ou plusieurs gros bloes de pierre apportés
intention-nellement.
B. LE MOBILIER
Les squelettes disparus, les donations qui accompagnaient les dêfunts dans leurs demeure posthume sont les seuls documents qui permettent de déterminer le sexe de !'individu et préciser sa position dans la fosse (fig. 4).
Les bijoux, torques, bracelets et fibules, signalaient avec
certitude Ie chevêt. Quant aux armes, on a l'habitude de co
nsi-dérer qu'elles étaient déposées à droite du défunt ; cette règle
qui se dégage de nombreuses fouilles de sépultures marniennes
se voit ici confirmée à plusieurs reprises par la position des
fibules. Enfin, l'emplacement des vases n'obéissait à aucun
principe.
On admet généralement que le torques et les bracelets
indi-quent une sépulture féminine et les armes, une tombe d'homme,
ces deux types d'offrande ne se rencontrant jamais dans une
même fosse. Par contre, les fibules comme les agrafes et boucles
de ceinture paraient indifféremment les guerriers et leurs é
pou-ses. Enfin, on trouve de la céramique dans les sépultures mascu-lines et féminines.
1. Céramique
Les vases représentent certainement l'essentiel du matériel funéraire de cette région. Rares sont en effet les tombes qui en
sont dépourvues. Les défunts, hommes et femmes, étaient
géné-ralement enfouis avec un seul récipient.
Il s'agit d'une céramique de facture fort soignée, comme en
Fig. 4. - Hamipré (Offaing). Une tombe de femme (à gauche) et une tombe
d'homme dans laquelle subsistaient des traces noirátres de bois consumé
du cercueH.
témoignent la pa.te fine et homogène, les parois bien lissées, souvent lustrées et le galbe régulier. La couleur est uniforme,
noirätre, sinon rouge foncé.
L'éventail typologique apparaît fort restreint : les situles re-présentent la grande majorité des récipients (fig. 2,3). Il s'agit de hauts vases à fond plat, panse tronconique, un peu galbée qu'une carène sépare d'un col concave souvent pourvu d'une courte lèvre évasée. La majorité des situles sont agrémentées dans la partie supérieure de la panse jusqu'à la carène, d'un décor peint, noir et rc,uge, de style géométrique, haut de 3,5 à 8 cm ; il se compose de bandes colorées alternées avec des motifs géométri-ques tracés généralement par des filets noirs parallèles. La plu-part d'entre eux sont des triangles emboîtés répétés à intervalles réguliers sur le pourtour de la panse.
1
1
TOMBELLES EN ARDENNE 17
Parmi les récipients qui affectent une autre forme, on re-tiendra deux pièces trouvées à Hamipré, La Hasse : une écuelle à panse bitronconique assez basse avec décor lustré et un vase caliciforme muni d'un haut pied évidé et une large panse sur-baissée décorée de plusieurs groupes de trois larges incisions horizontales soigneusement tracées (fig. 2,4-5).
2. Armes
L'armement des guerriers, toujours en fer, est essentielle-ment constitué par des pointes de lance et de javelot, dans Ie groupe de Neufchateau, comme dans toutes les tombelles d' Ar-denne, et plus rarement d'un coutelas.
Les fers de lance et de javelot, emmanchés sur de longues hampes de bois, gisaient dans les fosses, soit isolés, soit par paire ou même par groupe de trois, de calibre différent dans les deux derniers cas. Les plus grands d'entre eux, sans doute à cause de la longueur plus importante de leur hampe, soit reposaient sur Ie bord supérieur de la tombe, soit, lorsque Ie sol était suf-fisamment tendre, étaient enfoncés dans Ie haut de la paroi de la tombe. Les petites pointes par contre reposaient sur Ie fond des fosses, à l'intérieur du cercueil lorsqu'on en a retrouvé les traces.
Les fers de ]ance et de javelot dont la longueur totale oscille entre 12 et 28 cm, s'apparentent entre eux par la forme. La Jame allongée en une feuille effilée est souvent pourvue d'une nervure m.édiane. La douille est relativement courte et de faible dia-mètre ; parfois un clou y maintenait plus solidement la hampe (fig. 5,1).
Jusqu'à présent, on a découvert, dans Ie groupe de Neufcha-teau exclusivement, quelques coutelas à lame effilée, à soie plate et large, relativement longue et recourbée à son extrémité, sur laquelle était assujetti, au moyen de trois ou quatre rivets, un manche formé de deux lamelles, vraisemblablement en os, si l'on en juge par les exemplaires du même type trouvés dans les tombes marniennes. Sous la tombelle I d'Offaing, cette arme était flanquée d'une paire d'anneaux qui servait à suspendre Ie cou-teau au ceinturon.
3. Bijoux
Les torques, toujours en bronze, sont une parure commune dans les tombelles du pays de Neufchateau. Leur tige est soit lisse, soit torse (fig. 5,2-3). La plupart sont pourvus de tampons moulurés plus ou mains épais, à peine ouverts. Ces colliers raides dont Ie diamètre extérieur oscille entre 14 et 18 cm, affectent souvent une forme légèrement ovale. Les torsades, comme les moulures qui agrémentent les tampons, varient d'une pièce à
l'autre. Ces torques, dotés de réelles qualités plastiques, montrent une parfaite exécution technique.
On rencontre souvent, dans les sépultures ou repose un collier, unc paire de bracelets en bronze, assortis l'un à l'autre (fig. 5,4). La plupart ont une tige lisse d'épaisseur variable et sont pourvus de petits tampons ouverts.
2
E)
3
0
4Fig. 5 - Mobilier métaHique. 1 : fer de lance, 2-3 : torques en bronze, 4 : bracelets en bronze, 5-6 : agrafe et boucle de ceinture en fer, 7 : fibule en fer. Provenance : Hamipré (La Hasse), sauf la fibule trouvée à Tournay.
TOMBELLES EN ARDENNE 19 Mains courantes que les anneaux de bronze, les agrafes et boucles de ceinture découvertes jusqu'à présent, sont toutes en fer. Les unes affectent une forme essentiellement fonctionnelle : soit un simple crochet, soit un petit anneau que prolonge une tige recourbée à son extrémité (fig. 5,5). D'autres sont constituées d'une petite plaque piriforme de 5 cm de long environ, élégam-ment découpée et parfois ajourée, prolongée par une patte de fixation (fig. 5,6).
Nous terminerons eet éventail du mobilier par les fibules dont l'étude s'avère d'un intérêt primordial pour la chronologie de cette période.
Nous en avons trouvé huit jusqu'à présent et nous en con-naissons deux autres, l'une, inédite, issue d'Hamipré, La Rasse
et l'autre publiée par les soins de M. Bonenfant dans son étude relative à la petite nécropole de Sainte-Marie-Chevigny (16). Quatre d'entre elles seulement sont complètes.
Ces fibules, les unes en fer, les autres en bronze, proviennent pour la plupart de sépultures masculines. Ces broches étaient au nombre d'une par tombe sauf dans la sépulture féminine de Tournay ou nous avons retrouvé trois exemplaires presque identiques (fig. 5, 7).
Les fibules complètes sont caractérisées par un long appen-dice caudal plié à angle droit pour remonter à la verticale, per-pendiculairement au pied; or, eet élément est considéré comme une réminiscence du Hallstatt final (17). La présence de telles fibules est cependant attestée dans les nécropoles du tout début de La Tène I en Champagne.
Ces bijoux permettent donc de <later les tombes d'ou elles sont issues de la phase initiale de La Tène I.
Nous possédons encore un renseignement relatif à l'habil-lement des gisants. En effet, Ie métal oxydé, le fer des fibules ou le bronze des torques, a parfois permis la conservation de petits fragments de tissu. L'analyse en laboratoire de quatre vestiges de vêtement prélevés dans des sépultures féminines a révélé qu'ils étaient tous en laine.
C. LES TOMBES A CHAR
Au nord et à l'est de Neufchàteau, cinq tombes à char ont été découvertes respectivement en 1958, 1966, 1968 et 1969 (18).
Lors de nos propres fouilles à Hamipré, Offaing, nous avons (16) P.P. BONENFANT, loc. cit., fig. 5, V 1, pp. 24, 45.
(17) D. BRETZ-MAHLER, La civilisation de La Tène I en
Cham-pagne. Le faciès marnien dans XXIIIe supplément à « GALLIA », Paris, 1971, p. 30, pl. 21.
(18) Toutes ces fouilles sont pratiquement inédites. Cf. p::mr leur signalement C.A.F. La nécropole celtique de Namou,ssart dans Les Ca-hiers Chestrolais, 1, 1960, p. 8; P. B(ONENFANT), Juseret (Lu,x.) : tombes à char de La Tène I dans Archéologie, 1966, 2, pp. 81-82 ; pl. XI ;
ID., Longlier (Massul) : tombe à char de La Tène I dans Archéologie,
19G7, 2, pp. 74, 76; A. G(EUBEL), La tombelle celtiqu,e de « Ribêmont »
mis au jour en 1971 et 1972, trois sépultures de ce type, parmi un groupe de vingt et une tombes, respectivement sous les tombel-les I et II et dans le groupe de tombes plates. Ce nombre relative-ment élevé montre !'abondance, la fréquence de ce type d'inhu-mation, comparable aux nécropoles marniennes ou plus de 137
tombes à char sont dénombrées à ce jour (19).
Ces sépultures se distinguent au premier abord des autres fosses par leurs dimensions plus importantes, plus longues, plus larges et plus profondes aussi, puisqu'elles devaient ensevelir le véhicule tout entier. Elles affectent une forme ovoïde ou
trapézoïdale. Sur le fond de la fosse, deux cavités ovales ont
été ménagées pour recevoir la moitié inférieure des deux roues du véhicule, ceci afin de réduire au maximum la profondeur de la fosse qui était creusée dans un sol dur.
Sous la tombelle II d'Offaing, la tombe à char, outre sa
grande cavité trapézoïdale, présentait un dispositif particulier :
le petit cöté de la fosse, opposé à celui près duquel reposaient
les roues, était percé en son centre par une rigole <lont le fond horizontal était moins profond que celui du reste de la tombe,
destinée sans doute à loger le timon. Cette tranchée aboutissait
à une fosse rectangulaire, perpendiculaire à cette dernière, qui abritait probablement le joug et sur le bord de laquelle gisait un mors de cheval (fig. 6).
La forme de ces tombes fournit de précieuses indications relatives au véhicule, sa forme et ses dimensions : il s'agit d'un
petit char de gueiî.re à deux roues tiré par deux chevaux placés
de part et d'autre du timon.
Le bandage de roue en fer subsistait entièrement dans la
cavité de roue gauche sous la tombelle II d'Offaing (fig. 6). Il
était fixé à la jante de bois par plusieurs clous. Ailleurs, il
restait toujours, sur le fond des cavités ovales, la trace . de
rouille laissée par ces anneaux de fer.
Les rayons des roues devaient être en bois. Quant au moyeu,
il était renforcé par une ou plusieurs garnitures en fer. Dans la tombelle I, des séries de trois frettes consolidaient chaque cöté du moyeu.
Il est plus difficile de se faire une idée des autres éléments du char <lont il ne subsistait que quelques rares vestiges. En ce
qui concerne la caisse du véhicule, on s'accorde à penser qu'elle
devait être alors en matériau léger, périssable (20). Comme nous avons retrouvé de longues traces de planche entre les deux roues, sur le fond de la fosse de la tombelle I, il est permis de présumer que le plancher du char était en bois.
Dans la tombe à char qui n'est pas recouverte d'un tertre,
une pièce de bois consumé traversait axialement la fosse, en
s'abaissant en direction des roues : il s'agit sans doute de la trace du timon.
Outre les vestiges du char, on a retrouvé dans ou à proximité
(19) R. JOFFROY, D. BRETZ-MAHLER, Les tombes à char de
La Tène dans l'Est de la France dans Gallia, XVII, 1959, 1, p. 6.
TOMBELLES EN ARDENNE 21
de chaque sépulture, un ou plus souvent deux mors de filet, toujours en fer. Seul Ie mors de la tombelle I d'Offaing a une embouchure droite faite d'une seule tige raide terminée par deux petits anneaux dans lesquels coulissent deux plus grands. Les quatre autres mors d'Offaing sont de type brisé : l'embouchure se compose alors de deux tiges articulées, ce second type étant encore utilisé de nos jours.
Le conducteur de char emportait en outre dans sa tombe,
tout comme Ie fantassin, au moins un vase, déposé à sa droite,
parfois une paire de lances ou de javelots, la pointe placée à
proximité du timon.
Dans la tombelle II d'Offaing, Ie défunt portait une fibule de bronze assez fine qui fut trouvée sur Ie fond de la fosse, entre les deux cavités réservées aux roues; la position de ce bijou dans la tombe permet de supposer que Ie corps était al-longé sur la caisse du véhicule, Ie torse entre les deux roues, tout comme en Champagne.
Dans l'ensemble, Ie mobilier réservé aux tombes à char ne
se différencie guère, ni par sa nature, ni sa qualité, de celui des sépultures simples.
D. CONCLUSION
De nombreuses affinités, tant dans les rites funéraires, la composition du mobilier comme l'éventail de ses types, unissent
la zone de Neufchäteau à deux brillantes civilisations
contem-poraines : celles de Champagne et du Hunsrück-Eifel. Le groupe qui nous préoccupe partage en effet avec les populations de cette
région d' Allemagne, la coutume de l'érection, à proximité de
points culminants, de tertres destinés à abriter une ou plusieur,s
sépultures. En outre, dans le matériel, nous pouvons mettre en parallèle quelques· formes de vase et des agrafes et boucles de ceinture. Néanmoins, un plus grand nombre d'affinités unissent
apparemment nos peuplades à celles de Champagne ; outre
quel-ques particularités du rituel funéraire communes à nos
cime-tières et aux tombes plates marniennes, on rapprochera ces deux groupes surtout pour les grandes ressemblances des donations funéraires. En effet, les défunts étaient inhumés de part et d'autre avec des vases au profil anguleux, tels des situles, et agrémentés de décors peints, parés de torques et bracelets de bronze très apparentés, de fibules dont tous les types ont leur
pendant en Champagne. Les tombes à char enfin trouvent des
parallèles éloquents dans cette même région. Géographiquement, il faut d'ailleurs remarquer que les témoins les plus
septentrio-naux de cette civilisation se situent à 80 km à peine au sud de
Neufchäteau (21).
Le mobilier funéraire nous permet de cerner dans son
en-(21) Cf. D. BRETZ-MAHLER, op. cit., cartes. Par contre, Ie mobi-lier de La Tène I découvert jusqu'à présent dans la région de Bovigny offre de nombreuses analogies, tant dans sa composition que dans ses types, avec celui du Hunsrück-Eifel : A. CAHEN-DELHAYE, Tombelles celtiques de la région de Bovigny ... , loc. cit., pp. 150-153, 160-163.
TOMBELLES EN ARDENNE 23 semble la période d'occupation des peuplades qui érigèrent ces tombelles : il s'agit de la phase I de La Tène que l'on a l'habi-tude de situer dans nos régions entre 470 et 250 avant notre ère. En outre, !'ensemble des fibules se rapportant à des types mar-niens de La Tène I a (entre 470 et 350 avant J.-C.) semble indiquer que le peuplement des plateaux ardennais a commencé au tout début du second age du fer, dans le groupe chestrolais du moins.
*
* *
Les recherches ultérieures s'efforceront de résoudre le pro-blème de la durée d'occupation et les raisons de !'absence de témoins des phases II et III de La Tène.
Enfin, il convient d'insister sur le fait qu'aucun habitat n'a, jusqu'à présent, été découvert dans toute la zone d'extension des tombelles ardennaises. Cette carence d'information est peut-être due au mode d'exploitation des hauts plateaux voués principale-ment aux forêts et aux paturages, ce qui ne favorise guère la découverte de tels vestiges.