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L'Afrique, cible d’après-Guerre froide, entre les Etats-Unis et la France

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Pauvres, mais honnêtes, nous paraissons quand nous pouvons, et notamment le lundi 7 février 2011 2011, n° 5 - Sommaire

Afrique

L'Afrique, cible d’après-Guerre froide, entre les Etats-Unis et la France … page 1

RDCongo

Le Processus de Bologne : Une vraie réforme au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche en RDC ? … page 13

Guerre au Kivu : une lecture des enjeux politiques du conflit… page 18 La révision constitutionnelle pourrait-elle être l’occasion d’un assainissement de la vie

politique congolaise ? … page 21 Histoire

Umwali: société "secrète" et proto-féminisme subversif de la femme congolaise … page 23 Suisse

Une Nouvelle Loi Contre les Dictateurs… page 27 DE LA TUNISIE A L’EGYPTE Le monde arabe se révolte … page 30

De Bokasa à Ben Ali : La France une amie infidèle ! … page 33

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Afrique

L'Afrique, cible d’après-Guerre froide, entre les Etats-Unis et la France

Chacun connaît les paradoxes des relations franco-américaines. Il y a un peu de moins de trente ans, le Général De GAULLE se heurtait aux Etats-Unis sur beaucoup de fronts : mise en cause de la « double hégémonie1) », formule par laquelle il paraissait presque établir une symétrie entre l'Union soviétique et les Etats-Unis, critique de la politique américaine au Vietnam, et prises de positions fermes sur le conflit israélo-arabe. Les buts avoués de la France, en Afrique sont le soutien à la construction de l'Etat de droit et à la poursuite de la démocratisation. Ses buts inavoués étaient moins exaltants.Le général De Gaulle affirmait en 1961, tout juste après le processus de décolonisation des anciennes colonies françaises :

"Notre ligne de conduite, c’est celle qui sauvegarde nos intérêts et qui tient compte des réalités. Quels sont nos intérêts ? Nos intérêts, c’est la libre exploitation du pétrole et du gaz que nous avons découvert ou que nous découvririons". Et, tout a été fait pour embrigader ces pays, bloquant ainsi leurs développements.

Au terme d'un survol des différentes facettes de la politique africaine de la France, l'impression dominante est celle de l'absence de marques et de références précises. Certes, le maintien d'une présence française en Afrique est réaffirmé avec force mais le ton et les attendus sont différents suivant les responsables politiques.

Les partisans du Général De Gaulle ont invoqué à l’appui d’un changement nécessaire vers plus d’autorité présidentielle une situation de division extrême de la France entre des partis multiples qui rendait les gouvernements très instables. L’instabilité gouvernementale ne tenait pas tant à la Chambre que dans le rôle très effacé attribué à la Présidence et surtout à résoudre, sans y perdre la face, le problème de la décolonisation. Battue en Indochine, engagée dans une guerre sans issue en Algérie et menacée en Afrique noire par la montée du panafricanisme, elle devait trouver une « porte de sortie » honorable. La difficulté résidait dans le fait que les Français partisans de la décolonisation se recrutaient fondamentalement chez les communistes et socialistes de gauche et dans les ligues, mouvements et organisations qu’ils inspiraient, et que ces gens avaient été dépeints depuis plus de 10 ans comme de mauvais Français, consciemment ou inconsciemment aux ordres de Moscou ! Il était délicat d’adopter soudain la politique qu’ils prônaient, après avoir passé des années à dire qu’elle était mauvaise et contraire aux intérêts de la France. On trouva l’issue dans l’intervention d’un homme providentiel, figure historique de la Seconde Guerre Mondiale, et susceptible de rassembler les gens « au-dessus des partis », donc de faire oublier les clivages qui tenaient, précisément, aux partis et aux positions qu’ils avaient défendues face aux problèmes de l’heure. De Gaulle possédait de plus, à côté d’un indéniable et sincère patriotisme, un talent oratoire à nul autre pareil pour faire prendre aux Français des vessies pour des lanternes en les manipulant à coups de « cocoricos ».

Dès son arrivée aux affaires (il est alors encore Président du Conseil dans la IV° République), De Gaulle veut soumettre la question des indépendances au référendum constitutionnel. Le choix sera entre l’indépendance immédiate – étant entendu qu’on « ne peut concevoir un territoire indépendant et une France qui continuerait de l’aider » – et l’intégration à jamais dans une Communauté fédérale.

1 Jacques ANDREANI, Les relations franco-américaines, Politique étrangère, 60ème année, hiver 1995 / 1996, n° 4, p. 891

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Le 8 août 1958, à Paris, le Président du Conseil comprend vite que la plupart des Africains ressentent l’alternative comme un chantage et que, si le oui au référendum implique renonciation au droit à l’indépendance, la Communauté sera balayée. Les plus lucides savent qu’aucun contrat n’est éternel. Le Malgache Philibert Tsiranana confie à des journalistes:

« Dans un an ou dans un siècle, Madagascar sortira de la Communauté. Sans doute très prochainement ». Mais beaucoup ressentent un affront. Alors, le 24 du même mois, à Brazzaville, de Gaulle fait la concession décisive, reconnaissant le droit de sécession « au bout d’un certain temps [qu’il] ne précise pas ».

Le discours (on a parfois parlé de la « Bombe ») de Brazzaville fut de la politique-spectacle dans le meilleur style si personnel de De Gaulle. Claude KRIEF fait ainsi, dans l'Express du 28 août 1958, le récit et le bilan du périple du Général, alors président du Conseil de la IVe République, en Afrique noire :

Tananarive, Brazzaville, Abidjan, Conakry, Dakar, chaque étape du périple africain du général De GAULLE a été le théâtre d'un grand spectacle. Tananarive avait donné le ton.

Dans la nuit tombante, le cortège présidentiel gagna la capitale au milieu des feux de Bengale, des pétards, des torches tournoyantes. Dans chaque village un orchestre improvisé accroupi sous un arc de triomphe jouait une version exotique et très personnelle de La Marseillaise, au milieu de foules compactes qui voulaient voir de plus près, toucher le représentant de la France. Et devant le palais du Gouvernement où il devait passer la nuit, la ville tout entière hurla "De GAULLE au balcon" jusqu'à ce qu'il paraisse...

Les journalistes de la presse mondiale, impressionnés par le spectacle, câblaient déjà dans toutes les parties du monde : "Accueil délirant".

Le lendemain, puis les jours qui suivirent, les superlatifs trop tôt employés allaient cruellement leur manquer. Tananarive, par contraste, parut "réservée" auprès de Brazzaville.

Et la capitale de l'AE F (Afrique-équatoriale française) sembla "froide" après Abidjan, capitale de la Côte-d'Ivoire et fief de M. HOUPHOUËT-BOIGNY. La fraîcheur de l'accueil réservé au président du Conseil à Conakry et, surtout, à Dakar, ne put faire oublier ces heures d'enthousiasme.

Brazzaville s'était vraiment déchaînée. La voiture présidentielle, au pas, dut fendre une mer humaine au milieu des tam-tams, des cris, des applaudissements. Motocyclistes noirs, officiels galonnés, dignitaires africains, porteurs de banderoles étaient inextricablement mêlés tandis que le président du Conseil, ayant abandonné sa voiture, s'efforçait de gagner la tribune tricolore où l'abbé Fulbert YOULOU, le pittoresque maire de la ville, lui remit une gigantesque clef de fer forgée.

Mais tout fut oublié à Abidjan. L'avion avait à peine atterri que la foule cernait sa passerelle.

A grand-peine trois fillettes, blanche, noire et métisse, purent parvenir jusqu'au général ; elles étaient chargées d'une gerbe drapée de tricolore.

Et très vite, sitôt achevée La Marseillaise, tous les barrages furent rompus, le service d'ordre impuissant. C'était à la fois le 14 Juillet parisien et le carnaval de Rio, teintés par la passion africaine. Sous leurs parasols les rois et les princes de toutes les tribus de Côte-d'Ivoire, entourés de leurs guerriers, participaient à la liesse. Des danseurs en pagne de raphia, des femmes aux seins peints en tricolore, des enfants, des orchestres !

Sur des kilomètres la foule court, suit le général tandis que M. HOUPHOUËT-BOIGNY en personne tente de le protéger d'une intense bousculade. Les ovations se succèdent... les klaxons hurlent... les sifflets des agents retentissent en vain... les orchestres rivalisent dans l'aigu...! "Nous n'avons jamais vu ça", devait dire M. HOUPHOUËT-BOIGNY.

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Et le général De GAULLE déclarait déjà à Tananarive: "S'il suffisait de sentiments pour produire de grandes choses, nous réussirions ensemble une œuvre magnifique..."

C'était reconnaître que les "passions" des masses ne réglaient pas tout. Aussi les conversations, les discussions, les échanges de vues se sont multipliés pendant tout le voyage entre le président du Conseil et les hommes politiques qui ont pris en charge depuis la loi- cadre les destinées des territoires d'outre-mer.

La proposition de départ

En face des projets constitutionnels, il y avait les "oui-oui", les "oui-mais", les "oui-si", les

"non-car...", et, chacun faisant évoluer l'autre, il en résulte aujourd'hui une impressionnante évolution des intentions du général De GAULLE.

Pour le président du Conseil, bien avant son départ de Paris, les données du problème africain semblaient claires: il fallait renforcer les dispositions d'autonomie interne qu'octroyait aux territoires noirs la loi-cadre de M. Gaston DEFFERRE, mais marquer les limites rigides d'un cadre institutionnel définitif.

Très fâcheusement impressionné par les motions du congrès du Parti du rassemblement africain (PRA) de Cotonou qui réclamait "l'indépendance immédiate", le général De GAULLE s'en était tenu à cette position stricte, début août, en déclarant devant le Comité constitutionnel consultatif : "Il y a les mots, et puis il y a la situation où nous sommes. Les territoires d'outre-mer ne sont pas des Etats. Il est donc nécessaire de faire une fédération.

On pourra même l'appeler confédération en raison des accords particuliers qui pourront être passés pour tenir compte de la situation particulière de certains territoires, Madagascar par exemple. Fédération, confédération, ce sont des mots. Je dis, moi, fédération et nous nous en tenons là".

Le général De GAULLE ajoutait, refusant de reconnaître l'indépendance : "Si les Africains le veulent, ce sera la sécession..." La position était nette, tranchée. Et l'on put même, dans les milieux africains, parler de "chantage aux crédits".

Les leaders africains parlaient eux aussi de "République fédérale", ils refusaient avec éclat la

"sécession". Mais les mêmes mots recouvraient des réalités différentes. Le désaccord était profond. M. SENGHOR, par exemple, en fit état publiquement, tout comme M. SÉKOU TOURÉ qui déclarait à Conakry : "La décolonisation intégrale, l'accession des TOM à l'égalité politique avec leur ancienne métropole seront le fondement de leur adhésion enthousiaste à une association avec la République française. La fédération France-TOM sera donc une communauté intercontinentale et multinationale de peuples libres et solidaires, malgré les différences de couleurs, de races, de religions..."

L'évolution

Transiger sur ces revendications, c'était pour les hommes politiques d'Afrique noire risquer de "connaître le sort du Glaoui et de Bao Dai", comme le déclarait il y a plusieurs mois à Paris M. APITHY, leader du Dahomey. Les syndicats, du reste, adoptaient une attitude analogue.

Toujours début août, l'Union générale des travailleurs de l'Afrique noire (UGTAN) publiait une motion où, "rejetant catégoriquement toute construction inspirée de la vieille politique d'assimilation et d'intégration, le comité directeur exige que soient reconnues sans réserve les aspirations des peuples d'Afrique noire à une existence nationale indépendante".

Le général De GAULLE offrait, en revanche, aux territoires, la possibilité de devenir des départements (assimilés ou intégrés), mais "bouchait" toute évolution vers un statut d'Etat, au moment même où les leaders noirs - et la plupart du temps pour se protéger des surenchères

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fascinantes de l'"indépendance" - entendaient qu'à termes les ouvertures de la Constitution leur garantissent l'accession à la pleine souveraineté.

C'est ce qu'expliquèrent au comité constitutionnel MM. SENGHOR, leader du PRA, LISETTE, président du Tchad, et TSIRANANA, président du Madagascar. Et le comité remania sensiblement les textes qui lui étaient soumis, préférant au terme de "fédération" celui de

"confédération" qui, on le sait, peut intéresser des Etats souverains ou susceptibles de le devenir. Après de longues conversations, le président du Conseil français retint finalement le terme de "Communauté", rendu célèbre par le RDA (Rassemblement Démocratique Africain) : un pas très important était franchi vers l'assouplissement des formules à l'étude.

Rien ne permettait pourtant de prévoir la "bombe" de Brazzaville. Certes il y avait eu, vendredi dernier, le discours de Tananarive où le général De GAULLE avait déclaré :

"Chaque territoire ayant pleine et entière disposition pourra choisir à l'intérieur de lui-même de devenir une République fédérale ou un Etat".

Mais il était encore difficile de tirer une conclusion générale de ces propos: chacun savait que Madagascar devait bénéficier d'un statut privilégié. Le président du Conseil en avait assuré M. TSIRANANA au cours d'un entretien privé, à Paris, au début du mois. Et déjà plusieurs parlementaires africains avaient eu l'impression que la France faisait, de cette façon, la "part du feu".

Les équivoques sont levées

Le discours de Brazzaville devait balayer toute équivoque. Dans ce haut lieu de la France libre, à l'endroit même où se réunissait il y a quatorze ans la fameuse conférence qui pour la première fois ouvrait la voie à l'émancipation des colonies françaises, le général De GAULLE parlait enfin ouvertement, solennellement et à plusieurs reprises de l'indépendance

"On dit : "Nous avons droit à l'indépendance". Mais certainement oui. D'ailleurs l'indépendance, quiconque la voudra pourra la prendre aussitôt. La métropole ne s'y opposera pas..."

"Il est nécessaire que s'établissent de grands ensembles, économiques, politiques, culturels et au besoin de grands ensembles de défense". Mais au sein de cette communauté chaque territoire aura l'entière responsabilité de ses affaires intérieures: "Chacun aura le gouvernement libre et entier de lui-même".

Et l'on chargera les institutions fédérales du domaine commun : en particulier la défense, la monnaie, la diplomatie. Mais la communauté ne sera pas une prison : si un territoire lors du référendum répond "non", "cela signifiera qu'il ne veut pas faire partie de la communauté proposée... la métropole en tirera la conséquence".

Si, "à l'intérieur de la communauté, quelque territoire, au fur et à mesure des jours, se sent, au bout d'un certain temps que je ne précise pas, en mesure d'exercer toutes les charges, tous les devoirs de l'indépendance, eh bien ! il lui appartiendra d'en décider par son Assemblée élue...".

Autrement dit, le général De GAULLE offre non seulement à l'Afrique noire une éventuelle indépendance immédiate, mais de surcroît, pour l'avenir, il laisse aux peuples de la communauté la possibilité de choisir, à leur heure, l'indépendance. Ces dispositions, d'une importance capitale, règlent pratiquement le problème africain.

C'est la conclusion qu'en tirait M. Gabriel d'ARBOUSSIER : "Après un tel discours, il n'y a plus de problème. Les grands débats franco-africains ont trouvé leur solution. Il ne reste plus que des problèmes interafricains", et le vice-président du Grand Conseil d'AOF (Afrique occidentale française) ajoutait : "Les droits et les responsabilités des peuples d'Afrique se trouvent ainsi nettement déterminés. Il ne peut être question ni de chantage ni de pression : c'est librement qu'ils auront à déterminer leur option".

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Le discours de Brazzaville semble donc lever toute équivoque dans la mesure, toutefois, où les textes constitutionnels refléteront fidèlement les propos du général De GAULLE. La version définitive n'en sera établie qu'au retour à Paris du général De GAULLE. Ce sera à ce moment que les grands partis africains, le RDA et le PRA, prendront une position officielle.

Mais, de toute façon, le choix est entre les mains des Africains. M. HOUPHOUËT-BOIGNY s'est d'ores et déjà prononcé : "Nous avons choisi la communauté", tandis qu'à Conakry M.

SÉKOU TOURÉ, président du Conseil de Guinée, le plus réticent, déclarait : "Nous consentons à lier notre sort à celui de la France. Mais il faut qu'il soit bien entendu que si nous acceptions de bon cœur certains abandons de souveraineté au profit d'un ensemble plus vaste, nous ne renonçons pas, nous ne renoncerons jamais à notre droit à l'indépendance".

D'accord, a répondu le général De GAULLE, ce qui exclut toute surenchère. Les territoires, majeurs, devront débattre entre eux des multiples problèmes qui leur sont posés et que la France ne pouvait pas résoudre : exécutifs, fédéraux à Dakar ou Brazzaville, existence séparée de tel ou tel territoire (en particulier Côte-d'Ivoire et Mauritanie), remembrements en fonction des affinités économiques ou raciales, etc. Ils pourront faire face, en hommes libres, aux sirènes de "la" Nigeria ou du Ghana (en particulier pour le Dahomey et le Niger), car il s'agira d'un choix volontaire pour la communauté française, un choix que pourra perpétuellement réviser la volonté populaire.

Certes, au Sénégal, dernière étape du périple africain, l'accueil fut plus que réservé. Mais il semblait que les jeunes Africains qui -scandaient le mot "indépendance" voulaient surtout entendre le général De GAULLE confirmer devant eux son évolution. Ce qu'il fit.

Le président HOUPHOUËT-BOIGNY, dont c'est le triomphe, a pu, ainsi renouveler son défi au président N'KRUMAH : "Je préfère la coopération avec la France. Je tiens toujours le pari avec le Ghana. Dans dix ans nous confronterons les résultats..."

La Communauté ne sera donc qu’une transition. Tous ne considèrent pas pour autant que l’affront du « chantage à la coopération » soit lavé. Le 28 septembre 1958, la Guinée vote

« non » et accède à l’indépendance. Elle en retire un prestige certain, mais elle le paiera cher.

A la lecture des Mémoires d’Espoir du Général De Gaulle, on est frappé de son ton haineux quand il parle de la Guinée de Sékou Touré et du voyage qu’il y fit à cette époque2. Précisons à l’usage des lecteurs ayant le cœur pur et l’âme simple qu’il n’y a pas d’erreur : c’est bien du même voyage, dont nous venons de lire le récit triomphant sous la plume de Claude KRIEF, qu’il s’agit.

« … dans le reste de l’Afrique-Occidentale l’issue (du référendum) est très aléatoire. Sans doute le Rassemblement démocratique africain, qui représente le parti dominant, pour ne pas dire unique, dans les divers territoires — à l’exception du Sénégal — penche-t-il, en somme, vers le «Oui! » Mais cette tendance risque fort de se retourner là où le chef du gouvernement, disposant d’une équipe politique active et voulant jouer le rôle de champion du marxisme intégral et de la revanche sur l’impérialisme3, s’apprête à afficher un « Non ! » qui sera une proclamation.

« C’est le cas en Guinée. Le jeune, brillant et ambitieux Sékou-Touré me le fait bien voir. A peine ai-je atterri sur le terrain de Conakry que je me trouve enveloppé par l’organisation d’une république totalitaire4. Rien, d’ailleurs, qui soit hostile ni outrageant à mon égard.

Mais, depuis l’aérodrome jusqu’au centre de la ville, la foule régulièrement disposée des deux côtés de la route en bataillons bien encadrés obéit comme un seul homme aux ordres des

2 « Mémoires d’espoir », Tome 1, pp 71 à 73 dans l’édition du Livre de Poche.

3 De Gaulle a beaucoup de style, mais pas tellement d’imagination. Qui n’est pas avec lui est bien sûr

« communiste ». On en dira autant de Lumumba.

4 Si vous ne l’avez pas compris, Staline était guinéen !

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responsables, crie d’une seule voix « Indépendance ! » et agite des banderoles innombrables où est inscrit ce seul mot. Au-devant, s’alignent des femmes, rangées centaine par centaine, dont chaque groupe porte des robes de coupe et de couleur uniformes, et qui toutes, au passage du cortège, sautent, dansent et chantent au commandement.

« La « réunion de travail » a lieu à l’Assemblée territoriale où le président du Conseil a rassemblé ses militants. Sur un ton péremptoire, il m’adresse un discours fait pour sa propagande et coupé par des rafales bien rythmées de hourras et d’applaudissements. Il en ressort que la Guinée, jusqu’à présent opprimée et exploitée par la France, refusera toute solution qui comporterait autre chose que l’indépendance pure et simple. Je réponds nettement et posément que la France a fait beaucoup pour la Guinée; qu’il y en a des signes éclatants, par exemple celui-ci que l’orateur que je viens d’entendre a parlé en très bon français, qu’elle propose une Communauté de pays disposant d’eux-mêmes et pratiquant la coopération et que, malgré ses charges qui sont lourdes, elle fournira son aide à ceux qui en feront partie que la Guinée est entièrement libre de dire «Oui » ou de dire « Non » ; qui si elle dit « Non », ce sera la séparation, que la France n’y fera certainement pas obstacle, mais qu’évidemment elle en tirera les conséquences.

« Pendant l’entretien que j’ai ensuite avec Sékou Touré et au cours de la réception que je donne au palais du Gouvernement, j’achève de mettre les choses au point. « Ne vous y trompez pas !» lui dis-je. « La République française à laquelle vous avez affaire n’est plus celle que vous avez connue et qui rusait plutôt que de décider. Pour la France d’aujourd’hui le colonialisme est fini. C’est dire qu’elle est indifférente à vos reproches rétrospectifs.

Désormais, elle accepte de prêter son concours à l’Etat que vous allez être. Mais elle envisage fort bien d’en faire l’économie. Elle a vécu très longtemps sans la Guinée. Elle vivra très longtemps encore si elle en est séparée. Dans cette hypothèse, il va de soi que nous retirerons aussitôt d’ici notre assistance administrative, technique et scolaire et que nous cesserons toute subvention à votre budget. J’ajoute, qu’étant donné les liens qui ont uni nos deux pays, vous ne pouvez douter qu’un «Non! », solennellement adressé par vous à la solidarité que la France vous propose, fera que nos relations perdront le caractère de l’amitié et de la préférence au milieu des Etats du monde ».

« Le lendemain, allant retrouver l’avion par la route que j’ai prise la veille, je n’y vois plus âme qui vive. La même discipline imposée qui l’avait, hier, garnie d’une foule compacte l’a, aujourd’hui, totalement vidée. Ainsi suis-je fixé sur ce qui, demain, sortira des urnes. A Sékou-Touré, qui me salue à mon départ, je dis : « Adieu, la Guinée ! »

La Communauté franco-africaine était donc ainsi née. Etrange institution, en vérité ! Fédération sans véritable cadre institutionnel, elle est floue jusqu’à l’inexistence. Elle le restera tant et si bien qu’elle disparaîtra sans jamais être formellement dissoute. On ne peut se poser à son sujet qu’une seule question : « A-t-elle jamais existé ? ».

En fait, De Gaulle a usé de son talent littéraire pour faire exister seulement par les mots quelque chose de consolant qui n’avait rien de réel : l’ectoplasme d’un Empire colonial révolu. Il s’est ainsi mis en position de paraître non « brader » ou « lâcher » l’Empire, mais le faire seulement évoluer. Ce faisant il ne gâchait pas son image de marque de « celui qui a une certaine idée de la France » et amortissait le choc… pour un certain chauvinisme français, ou pour son propre égo surdimensionné ? Difficile à dire…

Jean ZIEGLER commente : "le gouvernement français a partout remis le pouvoir à des groupements, partis ou clans d’hommes formés, financés, conseillés et mis en place par lui- même. Dans aucun des états francophones nés de l’ancien Empire, à l’exception du Cameroun, le pouvoir colonial ou ses satrapes locaux n’ont eu à affronter un mouvement de

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libération nationale armé. La plupart du temps, le transfert de souveraineté a relevé de l’acte régalien, de la gracieuseté de la faveur que le maître accorde aux anciens esclaves" 5

Donc, au début de 1959, des ex-colonies françaises d’Afrique subsaharienne et de l’océan Indien, une est indépendante; deux – Cameroun et Togo – le sont presque; douze sont des républiques autonomes au sein de la Communauté; les Comores et Djibouti demeurent des territoires d’outre-mer, et la Réunion un département. Ultime paradoxe ivoirien: alors que les nouvelles Républiques n’ont, évidemment, plus d’élus au Parlement français, Houphouët- Boigny reste ministre, dans le gouvernement Debré, jusqu’au 21 mai.

Tous ces jeux peuvent paraître relever d’une mentalité très particulière à la France, et attirer des épithètes comme « franco-français », « hexagonal », « franchouillard », etc… C’est vrai et il est hors de doute que De Gaulle ne perd jamais de vue la politique intérieure française, a soin de rappeler que Brazzaville est un haut-lieu de la France Libre et que ses appréciations – ses a priori même – envers les hommes politiques africains sont souvent fonction moins de leur valeur ou de leur action personnelle que de leur apparentement à tel ou tel parti métropolitain. Les description très « staliniennes » de son étape guinéenne laissent clairement percevoir à quelle famille politique française Sekou Touré est accusé d’appartenir …

Mais il faut aussi avoir la correction de reconnaître que si tout cela a l’air très français au sens

« Dupont-la-baguette » du mot, c’est aussi parce que les colonisés français sont députés au Palais-Bourbon, Ministres du gouvernement français, et sont donc eux-mêmes liés à la politique française de façon directe et parfois intime. Aucune autre métropole coloniale n’a été aussi loin dans les droits politiques accordés aux colonisés. C’est un titre de gloire pour la France. Mais elle a renoncé à cette voie lumineuse quand elle s’est aperçue qu’elle allait peut- être devoir accorder plus de pouvoir encore à ses populations de couleur. C’est une tache sur son honneur. Aucun colonisateur, finalement, n’osera sauter le pas et faire le pari de l’égalité…

Ce premier problème de sa politique africaine, Charles de Gaulle l’évoque ainsi : « … il n’était pas douteux que, sous l’impulsion des élites, les populations décideraient d’aller à l’indépendance. Mais il s’agissait de savoir si ce serait d’accord avec nous, ou sans et, même, contre nous. Or, une grande partie des éléments évolués, qu’endoctrinaient plus ou moins les surenchères totalitaires, rêvaient que l’affranchissement fût, non pas le terme d’une évolution, mais une défaite infligée par les colonisés à leurs colonisateurs. D’indépendance, ils ne voulaient que celle-là… »6 Il s’agit de ne pas perdre la face !

Pour comprendre mieux toutes ces tergiversations autour la fédération, de la confédération, de la communauté, des fédérations de colonies, des tentatives d’union entre états avortées aussitôt qu’esquissées, il faut tenir compte d’une situation particulière créée par les fédérations de colonies, des tentations - mais aussi des dangers - qu’elles pouvaient représenter et pour les Français et pour les Africains, des tendances panafricaines qui dans certains cas se renforçaient de voisinages géographiques et de parenté ethnique et, enfin, de ce dont on affecte toujours, en francophonie, de ne pas se soucier car on fait de la politique noble et philosophique : les questions de gros sous.

La France possédait principalement deux gros blocs de colonies : l’AOF dont le gouverneur résidait à Dakar, et l’AEF, dirigée depuis Brazzaville. Ces deux blocs vont éclater en une dizaine d’états. Pourtant, il s’agira là d’ouvrir un véritable gouffre à finances. Comme le fait remarquer très vite René Dumont dans « L’Afrique Noire est mal partie », on remplace deux gouverneurs et de maigres institutions coloniales par une dizaine de Présidents de la République, autant de gouvernements complets, de parlements, etc… Et chacun de ces pays

5 « Vive le pouvoir ! ou les délices de la raison d’Etat, » Paris, Seuil, 1985.

6 « Mémoires d’Espoir, I – Le Renouveau », page 52 (cité d’après l’édition du Libre de Poche, 1972)

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devra aussi faire les frais d’une ambassade à lui dans tous les pays. Le coût du fonctionnement de l’état s’accroît énormément sans que la population en bénéficie…

Pourquoi Français et Africains se sont-ils finalement assez bien entendus pour exalter tous les particularismes ? Fondamentalement en réactions contre ce qu’ils percevaient comme la

« menace » de l’unité africaine. Menace qui, pour les leaders locaux, leur inspirait des pensées à la manière de Jules César : « Plutôt le premier dans un village que le second à Rome » et qui, pour les Français, mettait en cause son hégémonie sur ses « alliés » africains, dont certains auraient eu en leur sein des populations dont la boussole politique ne s’orientait pas sur le méridien de Paris.

L’Afrique de l’Ouest était une région partagée entre la France et l’Angleterre, où les pays anglophones étaient dominées par quelques panafricanistes de première grandeur, notamment Nkrumah et Nnamdi Azikiwe. Et le panafricanisme anglo-saxon a de plus des liens fort déplaisants, aux yeux du général De Gaulle, avec les Noirs américains. Noirs, oui, mais Américains, voilà le drame. L’influence française, bien sûr « culturelle » (mais la culture sert si souvent d’avouable enseigne à bien d’autres choses plus difficilement avouables…) ne serait donc plus exclusive et pourrait même à la longue s’avérer la moins forte !

Dans la même région, l’unification représenterait aussi une menace pour des intérêts économiques français et plus généralement occidentaux. Une réunion de la Côte d’Ivoire et du Ghana serait un si gros producteur du cacao qu’elle pourrait devenir pour cette denrée le leader d’une union des pays producteurs susceptible de tenir tête aux pays acquéreurs. Si le Nigeria venait à faire partie d’une Afrique de l’Ouest unifiée, il risquerait du fait de ses ressources pétrolières d’être dans la région le « cheval de Troie » des géants pétroliers britanniques ou américains.

En AEF, c’est pire encore ! Vigoureux partisan de l'émancipation, Barthélémy Boganda défend en effet des thèses fédéralistes audacieuses en lançant l'idée d'États Unis de l'Afrique latine, au-delà de l'AEF, vers l'Angola, le Congo belge et le Ruanda/Urundi, d’après une certaine idée de panafricanisme tendant à regrouper, au-delà d'un premier noyau constitué des quatre anciennes colonies françaises de l’AEF, les pays africains issus de la colonisation

« latine » (France, Belgique, Portugal) ce qui impliquait à la fois la dissolution de l’AEF dans un ensemble si vaste qu’elle s’y serait perdue, et la guerre ouverte avec l’impérialisme portugais ! Il mourut dans un accident d’avion si opportun qu’on ne peut éviter de se poser des questions.

On parla infiniment moins de ce second aspect de la politique africaine; en France il est de tradition de ne prêter aux actes politiques que des motivations nobles. On cache avec un peu de gêne qu’en fait on agit par pour des raisons d’intérêt, même si ce sont des intérêts nationaux: le souci de la France gaullienne, ce fut par priorité de maintenir dans son ex- empire les intérêts de ses gros sous.

La coopération française en Afrique, telle que vue par De Gaulle, n'a jamais été définie pour l'essentiel par les termes de la Guerre froide mais par ses intérêts nationaux : son but a toujours été d'empêcher Américains et Soviétiques de prendre pied dans sa zone d'influence

« l'Afrique de l'Ouest ». La « mise en cause de la double hégémonie » ne signifie nullement que la France ne se considère plus comme étant « à l’Ouest ». Sa politique africaine en est la meilleure preuve, qui transforme, avec le panache et la grandiloquence voulue pour que les Français y perçoivent bien qu’ainsi, grâce au Général, ils restent une Grande Nation, l’Empire colonial d’hier en Etats partenaires, amis et associés… deux expressions pour dire « états du bloc capitaliste , liés aux intérêts français ».

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Dans un premier temps, sous la présidence du Général lui-même et celle, encore très

« gaullienne » de Georges Pompidou, persista encore une idée très « coloniale » de ces « liens d’amitié ». Cela consistait à continuer tout simplement l’économie de « chasse gardée » que toutes les métropoles avaient pratiquée vis-à-vis de leurs colonies. La présidence de Valery Giscard D'ESTAING fut celle d'une ouverture vers les anciennes colonies belges, notamment le Zaïre et le Rwanda, à la faveur de la francophonie et d’une plus grande tradition d’ouverture remontant à la colonisation belge7. La France de François MITTERRAND a, quant à elle, pris pied sur l'ensemble du continent en étendant le champ d'intervention du Ministère de la Coopération à des pays lusophones et anglophones8. A partir de là, l’attitude française se borne à participer, partout où c’est possible, aux entreprises du grand capital international. De ce fait, son attitude économique n’est plus guère différente de celle des Etats-Unis.

Depuis que, en 1989, l'Union soviétique de Gorbatchev a commencé un mouvement significatif de désengagement militaire du continent africain, la France, se trouve être, dans cette région du monde, la puissance extérieure qui exerce la plus grande influence militaire.

Dès lors, l'Afrique est moins vulnérable aux effets de la rivalité Est-Ouest, et se trouve ainsi plus libre de faire évoluer ses systèmes politiques. A l'occasion de la 16ème Conférence des chefs d'Etat de France et d'Afrique qui s'est tenue à la Baule du 19 au 21 juin 1990, François MITTERRAND a précisé les grandes lignes de la doctrine française : « Chaque fois qu'une menace extérieure poindra qui pourrait attenter à votre indépendance, la France sera présente à vos côtés. Elle l'a déjà démontré plusieurs fois et parfois dans des circonstances très difficiles. Mais notre rôle à nous, pays étranger, fut-il ami, n'est pas d'intervenir dans des conflits intérieurs9 ». Dans ce cas-là, la France en accord avec les dirigeants, veillera à protéger ses concitoyens, ses ressortissants ; mais elle n'entend pas arbitrer les conflits. En apparence, le discours de La Baule trace une ligne de démarcation bien nette entre les conflits entre états, où il est licite d’intervenir, et les conflits internes où l’intervention est exclue. En réalité, il n’en est rien.

La France, en réalité, a toujours pratiqué, comme tous les autres intervenants, une sélection qui n’est pas juridique (conflit intérieur/agression extérieure) mais bien politique. Pour être aidé militairement, un pays sera dit « agressé de l’extérieur », donc susceptible d’être aidé, s’il est ami de l’Occident (et, de préférence, surtout de la France) et, depuis belle lurette, tout le monde exploite à l’envi l’art, du côté africain, de présenter les soulèvements intérieurs comme

« fomentés de l’extérieur » et l’art non moins subtil, du côté occidental, d’avoir l’air de le croire. D’autre part, on continue, lorsqu’arbitrage il y a, à y intéresser l’ex-colonisateur.

François MITTERRAND avait d’ailleurs, en tant que député, approuvé l’intervention française à Kolwezi.

Aujourd'hui dans la politique africaine de la France, la raison en tient moins à sa complexité qu'à la confusion des buts et à l'absence de projet qui sous-tendent l’ensemble de la politique sarkozyenne. C’est la politique du chien crevé au fil de l’eau, le chien dérivant toutefois généralement en direction d’un alignement flagorneur sur les Etats-Unis. La sobriété et la

7 L’EIC s’était vu imposer une attitude de non-discrimination commerciale à la Conférence de Berlin, et le Cono belge en hérita. D’où la présence d’une multinationale britannique comme Unilever et la participation de Tanganyika Concessions dans l’UMHK.

8 Roland MARCHA, La France en quête d'une politique africaine ?, Politique étrangère, 60ème année, hiver 1995 / 1996, n° 4, p. 904-906

9 Hugo SADA, La France et la sécurité africaine, Afrique 2000, novembre 1990, n° 3, p. 19

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vacuité de la formule ministérielle, citée par Jacques GODFRAIN, Ministre français de la Coopération, " soyons prudents et modestes10" résume bien la vision et la situation.

Jusqu'à la chute du mur de Berlin, la France, en y jouant le rôle de « gendarme », a maintenu son influence tutélaire en Afrique francophone. Dès l'après-Guerre froide, cette sous-traitance géopolitique a pris fin. Des tueries, assez hâtivement qualifiées de « génocidaires » en Afrique centrale ayant heurté la conscience universelle, la communauté internationale a collectivement assumé, après une brève rivalité franco-américaine, la responsabilité de mettre à niveau le continent du sous-développement. La « guerre de succession » dans l'ex-Zaïre, l'emprise sur les matières premières du continent, les concurrences commerciales dans le domaine des télécommunications, les stratégies pétrolières conflictuelles, les positons politiques des élites « anciennes » et des « modernes », leurs « agendas cachés », voilà le terrain africain de la rivalité franco-américaine.

Les nouveaux leaders11 d'Afrique australe et orientale, bien qu'attachés à prendre leur destin en main, se tournent naturellement vers les Etats-Unis, poussés autant par leur appartenance à un espace anglophone que par les erreurs de la diplomatie française. La politique africaine de la France évolue, c'est bien parce que les temps ont changé. L'environnement international a connu en quelques années d'importantes mutations. La fin de la Guerre froide a balayé l'argument d'une présence française ayant pour objet de contrer l'influence soviétique, remettant par-là même en question sa fonction de « sous-traitance géopolitique12 » et son corollaire, la notion de « classe gardée ». Autre évolution majeure, l'accélération de la mondialisation et la recherche de nouveaux marchés sur d'autres continents tendent de plus en plus à détourner la France de l'Afrique, la construction européenne conduit à un renforcement de la coopération Europe-Afrique au détriment, à terme, du maintien de relations étroites sur le plan bilatéral.

Il est vrai qu'au temps de la confrontation Est-Ouest, lorsque Washington reconnaissait à Paris la faculté d'être le « gendarme de l'Afrique », parce qu’à cette époque il fallait ménager les Européens et que l’on attachait plus de prix au maintien d’un pays dans le bloc occidental qu’à un avantage en termes de parts de marché. Au fur et à mesure que le « centre de gravité » s’est déplacé du militaire vers l’économique (où par ailleurs la course au maximu de profit devenait de plus en plus acerbe et forcenée), l’ambiance chaleureuse a fait place à un froid de plus en plus intense.

Après des décennies de complémentarité la France et les Etats-Unis se trouvent alors plutôt en situation de concurrence. A la Guerre froide a succédé la « paix froide ». Non seulement les divergences franco-américaines se manifestent quant à leurs politiques régionales, mais chaque part de marché fait désormais l'objet d'une sévère compétition. Les propos de l'ancien Secrétaire d'Etat, Warren CHRISTOPHER, lors de sa tournée en Afrique en octobre 1996, ont le mérite de la clarté : « Le temps est révolu où l'Afrique pouvait être découpée en zones d'influence, où des puissances extérieures considéraient des groupes de pays comme leur

10 Le Figaro 6 mai 1997

11 Les Nouveaux Leaders sont les dirigeants des quatre pays : l'Ethiopie, l'Erythrée, l'Ouganda et le Rwanda.

Selon Dr Abd El Malek OUDA, il existe un axe américain avec ces pays pour battre le rôle français dans les deux plateaux éthiopien et équatorial des sources du Nil. Dans Abd El Malek OUDA, op. cit., p. 53 (en arabe) 12Philippe MARCHESIN, La politique africaine de la France en transition, Politique africaine, octobre 1998, n°

71, p. 91-106

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domaine réservé13 ». Il convient toutefois de noter la « passion subite » pour l'Afrique subsaharienne concomitante au voyage africain du président Clinton au printemps 1996. En raison de ses opportunités commerciales, l'Afrique pourrait devenir une région-cible de la

« diplomatie du négoce », nouvel axe majeur de la politique étrangère américaine. Et les meilleures armes idéologiques dont dispose cette "diplomatie du négoce" pour promouvoir les exportations sont les programmes audiovisuels (cinéma et télévision).

Ce projet, intitulé African Crisis Response Force (ACRF), a été formellement exposé en octobre 1996 lors de la tournée en Afrique du Secrétaire d'État américain Warren CHRISTOPHER. Sa formulation, à laquelle l'administration américaine réfléchissait sous la pression de l'aggravation de la crise burundaise, marquait le point d'aboutissement d'un long travail diplomatique et se substituait au projet français débattu depuis deux ou trois ans avec plusieurs pays africains et au sein de l'OUA. Les deux projets incarnent la concurrence franco-américaine. L'ACRF reposait à la fois sur un engagement américain ferme et précis (calendrier et budget) et une adhésion de plusieurs pays anglophones de la sous-région (la Tanzanie, l'Ouganda et l'Éthiopie principalement) mais aussi de certains alliés traditionnels de Paris (comme le Mali et le Sénégal).

Au sortir de la Guerre froide, l'Afrique vit une rupture décisive, un changement d'époque sur fond de rivalité franco-américaine. Après la disparition de l'Union soviétique, Washington estimait n'avoir plus besoin du « gendarme de l'Afrique14 ». En acceptant des concessions de pure forme ou de simple circonstance, les fameuses « mesures d'accompagnement », les Etats- Unis et, plus globalement, les institutions internationales (Banque mondiale, Fonds Monétaire International, Nations Unies) ont obtenu gain de cause sur le principe de la « connexion de l'Afrique à l'économie du monde ». Les Etats-Unis ne déclenchaient pas non plus une

« agression », politique ou commerciale, mais tiraient simplement profit d'une ambiguïté inhérente à toutes les victoires du « monde libre ».

Il faut toutefois nuancer cette constatation en tenant compte d’une autre : les Etats-Unis sont très frileux sur le plan militaire. De ce point de vue, la France et les Etats-Unis sont presque aux antipodes l’un de l’autre. La France n’a pas de scrupules excessifs quant à l’usage de la force, et cette décision peut être aisément prise par le Président et le gouvernement. L’opinion publique, en général, n’y réagit guère – sauf quelques tiers-mondistes marginalisés – à une intervention « d’aide à un pays ami ». Les mécanismes de décision américains partagent les pouvoirs, en matière guerrière, entre le Président et le Sénat. Il est souvent nécessaire de

« travailler » assez longuement l’opinion, au besoin à l’aide de fausses nouvelles, pour se lancer dans une aventure militaire, que l’on promet invariablement « courte, chirurgicale et efficace », avant de s’y enliser et d’y engloutir des hommes et des milliards.

Les Américains ont, en particulier, un fort mauvais souvenir de l’Afrique, à cause du fiasco sanglant de leur expédition somalienne. Il ne leur serait guère facile de mener la politique

« césarienne » qui est la leur, s’ils devaient systématiquement utiliser des GI du contingent à chaque fois que la situation commande de recourir à la force. En fait, disposer de

« gendarmes » qui ne soient pas américains est la situation qui les arrange le mieux. Bien entendu, il s’agit là des hommes, non des moyens. Les Etats-Unis ne feront pas faute

13 André GUICHAOUA, Les " nouvelles " politiques africaines de la France et des États-Unis vis-à-vis de l'Afrique centrale et orientale (" Afrique des Grands Lacs " et République démocratique du Congo - Zaïre), http://www.cean.u-bordeaux.fr/polis/vol4n2/arti2.html (19 novembre 2001)

14 Stephen SMITH, Afrique noire : le duel Washington-Paris, Politique internationale, printemps 1994, n° 63, p.

355-367

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d’apporter un large (et coûteux) soutien en argent, armes, entraînement, technologie, transport, encadrement tant par leurs militaires que par leurs services secrets. Mais il vaut mieux, parce qu’en même temps ils se mêlent de faire la morale, que ce ne soient pas non plus les troupes de l’ex-colonisateur. L’anticolonialisme des Etats-Unis s’accommode bien mieux de relais africains. De plus, ceux-ci seront plus dociles, étant bien plus directement dépendants des Etats-Unis pour les raisons décrites plus haut.

Nous devons également signaler la rivalité américano-française et le rôle de l'Erythrée dans cette région en plus des conflits prolongés, à l'exemple du problème du Sud du Soudan, du conflit entre les Hutu et les Tutsi à Rwanda. Boniface Ngulinzira15 remarquait alors : " Il y a ici trois grandes catégories d'ambassades : les cyniques, les naïves et celles que l'on pourrait appeler " éthiques ". Parmi les cyniques se trouvent bien entendu la France, la Belgique et les États-Unis. Mais avec ces derniers c'est plus compliqué, car ils sont aussi naïfs et font de la morale ". L'administration Clinton a déterminé des pays où la réalité a peu changé par rapport au passé, des gouvernements dotés d'une certaine légitimité, celle par exemple de la lutte à un moment donné comme en Erythrée, en Ouganda et au Rwanda. Entre la France et les Etats- Unis, il s'agit plus d'une bataille pour le positionnement et les concessions, donc la libre concurrence. « Aider les Africains à se débrouiller par eux-mêmes16 ».

Face à cette montée en puissance de l'Ouganda, parallèle à la déstabilisation zaïroise et qui laissait découvrir des ouvertures ou des bouleversements décisifs des équilibres régionaux, nous relèverons qu'à la différence des Américains qui surent en tirer profit sans qu'ils puissent dégager a priori une stratégie à long terme, les Français demeuraient crispés sur leurs bases et positions traditionnelles : Rwanda, Burundi et le Zaïre de Mobutu. La France peut trouver auprès du Kenya un pays à la fois plutôt favorable à ses thèses quant à la résolution des conflits dans la région des Grands lacs et largement hostile à la volonté d'hégémonie économique supposée de l'Afrique du Sud17.

La nouvelle politique américaine18 vise à réaliser deux objectifs : reconstruire la situation régionale au centre de l'Afrique, lutter contre le courant islamique au Soudan. Pour les réaliser, elle a eu recours à deux outils : soutenir les nouvelles élites africaines « Nouveaux Leaders19 », présenter le projet pour une grande Corne de l'Afrique qui vise à créer une infrastructure pour l'intérêt des entreprises américaines. Le projet de Clinton de créer la « grande Corne de l'Afrique », avait le but de construire un bloc politico-économique englobant l'Ethiopie, l'Erythrée, la Somalie, Djibouti, la Tanzanie, le Kenya, l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi, le Sud du Soudan et la RDC. Sa principale force étant d'apparaître comme un gagnant et d’encourager une politique qui va dans le sens de la modernité politique (Good Governance) selon l'optique américaine.

Mais, contrairement aux Européens qui acceptent sans états d’âme excessifs une certaine dose de cynisme en politique étrangère, les Américains semblent avoir besoin de se convaincre constamment qu’ils se trouvent dans le camp des anges combattant, par conséquent, un adversaire diabolique, un Axe du Mal. Au moment où ils ont cessé de craindre une menace

15 ancien ministre rwandais des Affaires Étrangères et de la Coopération, principal négociateur des Accords d'Arusha au nom de l'"opposition démocratique" d'août 1993, assassiné en avril 1994 par la Garde présidentielle.

16 Entretien avec Chester A. Crocker, ancien sous-secrétaire aux Affaires africaines dans l'Administration Reagan, Limes : revue française de géopolitique, 1997, n° 3, p. 47-50

17 Stephen SMITH, Paris versus Washington, Limes : revue française de géopolitique, 1997, n° 3, p. 53-65

18 Hamdy Abd El Rahman HASSAN, L'équilibre régional aux Grands Lacs et la sécurité hydraulique égyptienne, El Siyassa El Dawlya « la Politique internationale », janvier 1999, n° 135, pp. 22-37

19 Abd El Malek OUDA, op. cit, p. 88-90

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soviétique, ils se sont donc trouvés dans une inconfortable situation d’équilibriste perché sur un seul pied. Le 11 septembre et la « menace terroriste » leur ont permis de rétablir leur assiette. Ils y ont aussi trouvé un moyen nouveau de battre le rappel de leurs alliés (France comprise) dans un nouveau « front international contre le terrorisme ». Et il faut remarquer d’emblée que l’inscription sur la liste des « organisations terroristes » se fait avec le même cynisme qui présidait hier à leur inclusion dans la « sphère bolcheviste ». Ainsi, les FDLR sont « terroristes », alors que le CNDP ne l’est pas !

La question qui semble se poser désormais, c’est « Y a-t-il encore une ‘concurrence’

quelconque entre la France et les Etats-Unis ? »

RDCongo

Le Processus de Bologne :

Une vraie réforme au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche en RDC ?

Par Jacqueline BERGERON20

Le 5 avril 2010, le Ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire de la RDC, poursuivant les actions de sa campagne de réforme de ce secteur pour le transformer et le moderniser, recommandait une intégration progressive du pays dans le Processus de Bologne.

Emboîtant le pas à ces recommandations, les universités congolaises ont engagé la réflexion sur ce processus qui implique de profonds changements au sein de tous les établissements d’enseignement supérieur du pays. Tout au long de l’année 2010, plusieurs acteurs politiques, institutionnels, pédagogiques ainsi que les partenaires financiers ont porté un regard croisé sur cette réforme donnant à lire des conceptions, des représentations souvent différentes, parfois mal assurées.

Qu’est-ce que « Bologne et Pourquoi Bologne en RDC ?

Le processus de Bologne se fonde autour de trois grands principes :

20Dr es sciences de l’éducation, Expert International Gouvernance de la Formation, Expert Européen Processus de Bologne

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1/ Améliorer la lisibilité internationale des formations et la reconnaissance des qualifications par le biais d’une convergence progressive vers un cadre commun de qualifications et de cycles d’étude

2/ Faciliter la mobilité des étudiants et des enseignants et leur intégration sur le marché du travail international

3/ Elaborer un système commun de diplômes pour les programmes de premier cycle (Licence) et de deuxième et troisième cycles (Master et Doctorat)

A l’heure de la mondialisation de l’enseignement supérieur, la mobilité des étudiants, des enseignants, des équipes de chercheurs est une priorité. Le processus de Bologne offre la possibilité de créer des passerelles entre continents, pays, établissements pour des certifications reconnues sur des espaces de plus en plus vastes…. Le caractère universel de la science explique la pertinence d’une harmonisation de l’enseignement supérieur à un échelon qui tend à devenir aujourd’hui mondial. Les échanges académiques et scientifiques internationaux sont des indicateurs essentiels de vitalité d’un pays et de toute institution universitaire. De plus en plus fréquemment, on constate que les enseignants chercheurs séjournent dans les institutions étrangères et que les universités accueillent des étudiants venus de divers horizons. Il est évident que la RDC doit trouver sa place dans ce panorama formatif international.

Le processus de Bologne est donc une opportunité d’ouverture pour les universités congolaises, en même temps qu’il est l’occasion d’une meilleure articulation entre offre de formation et besoins en compétences professionnelles. En construisant son propre dispositif LMD, la RDC s’offre la possibilité de repenser l’intégralité de son système d’enseignement supérieur et de recherche pour s’orienter un système mieux adapté qui se doit d’être réaliste, c'est-à-dire construit à partir de l’analyse de la situation de l’enseignement supérieur au Congo à ce jour.

On peut tout modifier mais ne rien changer….

Pour que la réflexion se poursuive de façon constructive, elle devra s’appuyer sur les cinq principales recommandations de Bologne :

Une architecture commune des cursus sur un espace international :

Un cycle Licence 6 semestres, (1er cycle), un cycle Master 4 semestres après la licence (2ème cycle),

un cycle Doctorat 6 semestres après le Master (3ème cycle). Cette architecture facilitera la lisibilité des diplômes au niveau international en définissant trois niveaux de sortie possible : L (deux niveaux de sortie (L2 et L3)) M et D et en orienter la conception de l’offre de formation vers l’employabilité.

L’adoption d’un système de crédits (CTS : Credits Transfer System) :

- garantir la «transférabilité et la capitalisation» des éléments de formation validés,

- faciliter la validation par une université d’accueil, des résultats positifs obtenus par les étudiants dans d’autres universités,

- faciliter la validation d’acquis (outcomes learning) construits hors de l’université (VAE : Validation des Acquis de l’Apprentissage)

Un découpage de la formation par semestres facilitant la mobilité vers des universités étrangères

Une diversification des cursus notamment dans le cycle licence, en offrant la possibilité de suivre des études pluridisciplinaires articulés aux besoins en emplois, d’acquérir une compétence en langues vivantes et d’utiliser les technologies de l’information et de la

communication

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La création de diplômes offrant une possibilité d’insertion sur le marché du travail pour chaque cycle.

Dans ce contexte, le dispositif LMD représente pour la RDC une triple ouverture : internationale, disciplinaire, sur le monde professionnel.

Ces différents éléments mettent en avant que le processus de Bologne est une grande réforme de coopération internationale et institutionnelle, essentielle au développement. Ce mouvement est sous-tendu par la volonté d’un réel changement passant par plusieurs étapes : avoir un autre regard sur la conception de l’enseignement, faire évoluer la fonction de l’enseignant dans sa relation pédagogique avec les étudiants, envisager l’évolution de la place de l’étudiant dans les dispositifs pédagogiques, repenser intégralement la démarche et les outils d’évaluation. Dans ce contexte, la réforme implique une évolution des fondements conceptuels sur lesquels repose aujourd’hui le dispositif académique congolais. Que ce soit aux niveaux politique, institutionnel, académique, chaque groupe d’acteurs se doit d’être conscient de ces modifications à initier en profondeur au sein de l’enseignement supérieur du pays pour ne pas risquer de tout modifier sans rien changer. Il serait bien inopportun et inutilement coûteux de ne changer que le vêtement de l’existant en se contentant de revêtir l’actuel système congolais de belles étiquettes ronflantes (Licence, Master, Crédit, semestres…etc…) qui seraient vides de sens.

Le LMD, est-il un modèle « prêt à porter » venu du Nord ?

Contrairement à ce qui a pu être véhiculé, le processus de Bologne et le dispositif LMD qui en découle n’est pas l’apanage des pays « du nord ». Chaque continent, chaque pays se doit de penser et construire sa propre réforme en l’inscrivant dans son contexte national au sein d’un espace international.

Pour cela, il convient de procéder prioritairement à de solides états des lieux institutionnels et pédagogiques sur lesquels pourront se construire les étapes d’avancement de la réforme. Le Nord a mis en place le dispositif LMD avant les pays Africains, on peut retirer quelques premiers enseignements d’une réforme qui est loin aujourd’hui encore d’être aboutie en Europe. Trois enseignements essentiels issus de l’expérience européenne retiennent mon attention :

• Une tendance parfois un peu trop forte à privatiser l’enseignement et à se rapprocher du modèle Américain a eu pour conséquence, dans certains cas, l’accentuation de l’aspect sélectif des étudiants sur certaines formations trop coûteuses. Cela pose la question du choix des indicateurs « d’entrée en formation », ce point sera une étape importante de la réforme en RDC.

• La formation des enseignants reste un problème à part entière aujourd’hui encore : les enseignants n’ont pas été suffisamment informés et formés sur les fondements conceptuels et méthodologiques inhérents au processus de Bologne : certains diplômes sont montés à la hâte, on modifie les titres, on transforme l’organisation des études, on attribue des ECTS en les corrélant aux résultats d’une évaluation qui reste essentiellement centrée sur les notes…On fait ainsi du « faux » Bologne qui, vue de l’extérieur, ressemble à s’y méprendre à du « vrai ». On sait combien sera crucial ce problème en RDC où la relève académique est loin d’être assurée aujourd’hui : le manque flagrant d’expertise scientifique dans différents domaines, du essentiellement au vieillissement du personnel académique et l’absence de connaissance du Processus de Bologne et de ses implications sur la conception de l’apprentissage seront deux obstacles majeurs à surmonter

• En Europe, aucun pays n’a tenu de vrai débat national au niveau gouvernemental sur les contenus et les objectifs de la Réforme. Cette étape « manquée » a eu (et a encore

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aujourd’hui) pour conséquence que certains pays utilisent Bologne pour servir leurs propres agendas politiques qui parfois n’ont pas grand-chose à voir avec les grands principes de Bologne. A l’heure où la RDC prépare ses élections Présidentielles, une attention particulière devra sans doute être portée à ce constat européen

La mise en place du dispositif LMD en RDC ne peut à l’évidence être un modèle

« copié/coller, tout au plus peut-on tirer profit des expériences venues du Nord et d’autres continents pour les intégrer dans la réflexion sur le futur système d’enseignement supérieur national. La RDC se doit ainsi de construire « son propre LMD » arrimé à un espace international à échelle mondiale. Certains pays adhérant à l’espace de la CEMAC (Communauté Economique et Monétaire) sont engagés depuis plusieurs années dans le Processus de Bologne : le Gabon, le Cameroun notamment sont des partenaires prêts à collaborer avec la RDC. Le Cameroun a récemment procédé à sa première évaluation de l’implantation du LMD dans le pays ; il sera sans doute opportun que la RDC se rapproche de ces pays partenaires pour bénéficier des premiers enseignements de cette expérience en Afrique Centrale.

Un engagement politique

L’espace CEMAC et le CAMES (Conseil Africains et Malgache pour l’Enseignement Supérieur) affichent clairement une politique de formation référée aux Processus de Bologne. Les pays membres de la CEPGL (Communauté Economique des Pays des Grands Lac), dont la RDC, ont communément affiché, dès l’année 2009, une volonté significative d’améliorer la gouvernance de leur système d’enseignement supérieur. Où en est-on aujourd’hui en RDC ? Force est de constater que certains préalables seront nécessaires à l’entrée dans le LMD, dont un essentiel : la construction d’une véritable politique publique de formation au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche. Politique qui se devra de tenir compte des faiblesses majeures que l’on constate encore aujourd’hui dans les différents établissements universitaires : des infrastructures immobilières et mobilières le plus souvent en très mauvais état, des centres de ressources documentaires pratiquement inexistants, l’absence de contrôle sur les niveaux d’entrée à l’Université qui pose le problème de l’enseignement secondaire, la délivrance des diplômes dans des conditions qui ne se réfèrent pas toujours à des critères de niveau d’expertise et ne tiennent pas compte de la règlementation nationale, encore moins internationale, un système d’évaluation souvent opaque, une absence de maîtrise sur les ouvertures/fermetures des établissements, un problème de niveau des personnels académiques, un problème de compétences des personnels administratifs et financiers…

autant de composantes auxquelles le gouvernement devra être attentif dans sa réflexion politique pour identifier ses ambitions et ses grands principes directeurs. Inévitablement, la question des moyens est un aspect fondamental et fondateur qui se doit d’être abordée au sein de la réflexion politique pour avancer dans la reconstruction du système de l’enseignement supérieur. Le cadre législatif est une composante essentielle de la réforme, on peut noter que la circulaire N°01621, parue en mai 2010, relative à la bonne gouvernance et à l’assurance qualité dans l’enseignement supérieur en RDC est une amorce d’un cadre légal qui reste en grande partie à construire. Enfin, le budget consacré à la réforme est un indicateur significatif d’une volonté politique d’avancer, c’est aussi l’outil d’excellence de gestion et de management de la réforme sur lequel s’élaborent des objectifs réalistes, se planifie la stratégie d’un schéma directeur et s’arriment les volontés et ressources humaines. Positionnement politique, cadre législatif, budget national, schéma directeur sont ainsi les ingrédients de base pour avancer progressivement dans le LMD au cours des mois à venir. Il revient donc au

21Note circulaire N016/MINESU/CABMIN/MML/PK/2010

Referenties

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