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La spécificité et l’importance de la composition des Chroniques de Jean Molinet

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La spécificité et l’importance de la composition des Chroniques de

Jean Molinet

L’inventio, la dispositio et l’élocutio : une comparaison avec les Mémoires de Jean de Haynin

Maarten Braakhuis S1259415

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Remerciements

Je tiens à remercier en tout premier lieu ma directrice de recherches Dr. A.M.E.A. De Gendt pour la confiance qu’elle m’a accordée tout au long de ce travail et pour toute l’énergie qu’elle a investie en moi et dans le mémoire.

Je tiens aussi à remercier Prof. Dr. P.G. Bossier pour sa lecture du mémoire.

Je tiens à exprimer ma sincère gratitude à Mme Estelle Doudet, professeur de l’Université Lille III, Charles de Gaulle, qui, avec son enthousiasme passionnant pour ce sujet, m’a fait connaitre le domaine de l’écriture historiographique bourguignonne pendant mon séjour à l’Université de Lille III. Je la remercie pour son enthousiasme, pour ses conseils et pour avoir répondu aux questions portant sur le mémoire.

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Introduction

La Bourgogne est une région qui a toujours été étrangère parmi les autres parties de la France et libre de ses mouvements, sous les différents règnes des souverains nationaux. Dans l’histoire de France, elle occupe ainsi une position spéciale.

La période du règne des Valois était une période extrêmement guerrière et instable, plus particulièrement dans le domaine politique. Cette période, qui a commencée en 1364 avec l’avènement de Philippe le Hardi, le premier représentant de la maison des Valois, était très importante pour la Bourgogne. Toute la société commençait à changer et le rôle de cette région dans la France monarchique s’agrandissait. C’est au détriment de la cour royale, que le duché devenait de plus en plus important dans la France médiévale. Malgré toutes les guerres, la Bourgogne s’est développée dans tous les domaines, notamment sur le plan économique, de telle sorte que la région était prête à prendre le pouvoir en France. Les Valois avaient en vue de dépasser la France dans tous les domaines, aussi sur le plan littéraire. C’est à la lumière de ces événements, de cette polémique culturelle, que nous comprenons la décision prise par Philippe le Bon de doter la cour de Bourgogne d’un historiographe officiel pour composer des Chroniques.

Par le terme « chroniques », nous entendons un « recueil des faits historiques, rapportés dans l’ordre de leur succession » 1

. Le premier historiographe officiel de la cour

bourguignonne fut Georges Chastelain, chargé de mettre par écrit les grands faits qui se sont produits à partir de 1461 sous le règne de Philippe le Bon.

Quand faut-il réagir ? Comment faut-il répondre, en tant que chroniqueur, aux événements qui se produisent ? Tant de questions que le chroniqueur devait se poser avant même de pouvoir commencer à écrire le récit. En tant qu’historiographes, les poètes étaient des metteurs en scène de la réalité, dans ce cas-ci, la vérité bourguignonne. Ils montraient ce qu’ils voulaient montrer, ils cachaient ce qu’ils trouvaient injuste et ils glorifiaient ceux qu’ils aimaient. Comme un peintre qui appliquait différentes couleurs, jouant sur la lumière et la profondeur pour mettre du poids là où il voulait, l’écrivain, lui, épuisait tous les registres pour illustrer son tableau écrit. Grâce à l’emploi de figures de

1 Rey, A., (1998), Le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, Paris ; Dictionnaires le Robert,

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style et d‘amplifications, l’ouvrage historiographique sortait du « pays gris » que composait la description de la société bouleversée, à la fin du Moyen Âge. La splendeur des tableaux peints par les plus grands maîtres du monde se reflétait alors dans les récits historiographiques du XVe siècle2. C’est ainsi que nous comprenons que l’auteur tenait les rênes et remplissait une fonction de grande importance dans la société médiévale.

Nous insisterons sur les œuvres historiographiques composées par les chroniqueurs de la fin du Moyen Âge. Nous nous intéressons plus particulièrement aux Chroniques composées par Jean Molinet entre 1475 – 1506 et aux Mémoires, écrits par Jean de Haynin entre 1465 – 1477.

Dans notre analyse, nous examinerons la spécificité et l’importance de la composition des Chroniques de Jean Molinet. Comment cet auteur a-t-il rempli sa fonction de chroniqueur officiel de la cour? Comment a-t-il composé le récit ? Pourquoi l’a-t-il rédigé tel qu’il l’a fait ? Est-ce que cela dépend du statut, des motifs, ou bien de l’opinion personnelle du chroniqueur officiel de la cour ? Quelles sont les différences entre le récit officiel et les Mémoires de Jean de Haynin et pourquoi ? Telles sont les questions importantes dans notre analyse. C'est parce que les deux écrits se situent entre 1475 - 1477 que nous nous limiterons à l'étude de cette partie de l’histoire figurant dans les Mémoires et les Chroniques.

La structure de notre analyse sera déterminée par la division que donne la rhétorique classique à propos de la composition du récit. Il s’agit ici de l’inventio, de la dispositio et de l’élocutio : trois phases constitutives du récit qui sont toutes d’une grande importance pour une bonne construction du récit écrit et qui ont toutes leurs propres fonctions. À travers une comparaison entre les deux récits concernant l’emploi de ces procédés, nous examinerons comment ces trois phases se manifestent dans les Chroniques et à quel point elles composaient des éléments déterminatifs dans la composition du récit3.

2 Foucault, M., (1966), Les mots et les choses, une archéologie des sciences humaines, Paris ; Gallimard,

p. 19.

3 Évidemment, nous renvoyons plusieurs fois au chef-d’œuvre de Jean Devaux ; Jean Molinet, Indiciaire

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Le premier chapitre de notre étude présente le cadre historique et nous permettra de mieux montrer comment la Bourgogne de Jean Molinet et de Jean de Haynin s’est développée. De plus, le cadre historique aide à mieux comprendre dans quelle situation politique et économique le duché bourguignon se trouvait quand les deux auteurs ont composé leurs écrits historiographiques.

La deuxième section constitue le cadre littéraire et montre l’importance de la littérature à la cour bourguignonne. À travers une introduction sur la naissance des Chroniques françaises nous arriverons à montrer l’importance de la fonction du chroniqueur à la cour. Puis, nous insisterons plus particulièrement sur la rhétorique et le système rhétorique des Classiques pour introduire le sujet principal de notre analyse. Nous finirons le deuxième chapitre en montrant la position importante prise par les Grands Rhétoriqueurs et leur Seconde Rhétorique au cours des XIVe et XVe siècles.

Dans le chapitre trois, nous insisterons succinctement sur la vie et les œuvres composées par Jean de Haynin et Jean Molinet ainsi que sur les événements les plus importants qui se sont produits entre 1475 – 1477.

L’analyse proprement dite se divise en trois parties d’importance égale.

Premièrement, au chapitre quatre, nous examinerons l’argumentation dans les Mémoires et dans les Chroniques4. Dans cette phase, il s’agit pour l’écrivain de trouver des sujets dont il voudrait parler dans son œuvre. Ici, nous montrerons pourquoi les deux écrivains ont inséré dans leurs ouvrages historiographiques les sujets tels que nous les retrouvons. De plus, nous démontrerons les raisons pour lesquelles ils se sont servis des descriptions telles que nous les apercevons dans les deux œuvres.

Le chapitre cinq englobe l’étude de l’importance de la dispositio, la phase où sont mis en ordre les matériaux trouvés. Nous insisterons sur la structure des récits pour pouvoir montrer quels événements étaient importants et lesquels étaient chers aux deux auteurs. D’abord au niveau de l’intitulé, puis, à l’intérieur des chapitres mêmes.

Le dernier chapitre de l’analyse constitue l’étude de l’élocutio dans les Chroniques et dans les Mémoires. C’est dans la composition du récit la phase où l’auteur peut se distinguer parmi ses contemporains. Il s’agit donc de l’ornementation de

4 Par le mot « discours », nous comprenons : ouvrage, récit ou écrit. Ces termes s’appliquent

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l’ouvrage. Cependant, là où plusieurs critiques5 se sont plongés dans l’explication des figures de son ou des figures stylistiques qui déterminent le rythme du récit chez Jean Molinet et d’autres Grands Rhétoriqueurs, nous nous concentrerons sur les éléments qui donnent de la force à la composition des récits historiographiques. À travers un examen de l’emploi des épithètes dans le récit, nous proposons de démontrer que ce procédé de nature grammaticale a fortement contribué au renforcement, ainsi qu’à l’éclaircissement des Chroniques. Nous finirons cette section en montrant le rôle important de la polyphonie, un terme provenant de la musique qui se trouve aussi utilisé dans les Mémoires et dans les Chroniques. Ici nous parlons de la polyphonie littéraire.

Chaque partie de notre analyse commencera par l’étude du procédé spécifique dans les Mémoires et finira par le développement de la technique dans le récit de Molinet, en utilisant la partie sur Haynin comme point de comparaison.

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Chapitre 1 : La Bourgogne, le patrimoine de Jean Molinet et de Jean de Haynin

Pour décrire les seigneurs qui ont eu les hautes mains sur la Bourgogne entre 1364 – 1477, il faudrait parler de « grands ducs » plutôt que de « simples princes » de Bourgogne. Ces grands hommes politiques dont nous parlerons dans ce chapitre introductif de notre étude, sont Philippe le Hardi, Jean Sans Peur, Philippe le Bon et Charles le Téméraire. Ayant gouverné la Bourgogne pendant plus de cent ans, ils ont laissé leurs traces en France, à la fin du Moyen Âge. Dans l’histoire de la France, il s’agit d’une période où les guerres étaient nombreuses et la politique instable.

Afin de donner une vision claire de l’élargissement géographique et économique de la Bourgogne qu’ont décrite les historiographes, il nous semble important de démontrer les grandes lignes du développement de cette partie de la France depuis l’instauration d’un « duché » jusqu’à la fin du Moyen Âge.

1.1 : La Bourgogne : d’un duché bénéficiaire vers le duché Valois

Contrairement à la plupart des régions françaises, la Bourgogne n’a jamais été déterminée par sa propre structure géologique6. Ce sont « les hommes qui ont fait la Bourgogne »7 utilisant toutes les possibilités données par la nature elle-même. Le paysage de cette région fut aussi différent que les peuples qui l’ont habitée. D’abord, il y a eu les Gaulois, puis le peuple latin et enfin, pendant le Ve siècle, la race scandinave à laquelle la région doit son nom : les « Burgundi »8. Après avoir été dominée par différents souverains nationaux, la Bourgogne fut prise par Charles Martel, le maire du palais d’Austrasie et de Neustrie pendant la période mérovingienne, et fut divisée en quatre parties différentes en 7329. À partir du règne de Charlemagne (768 – 814), la situation politique changeait fréquemment. L’époque de Charles le Grand, connu grâce à sa politique intérieure, fut marquée par un fort désir de centraliser le pouvoir en France.

6« La Bourgogne, elle, est à la fois plaine et montagne, vallée et plateau, terre primitive et apport récent.

Elle regarde de tous côtés vers les quatre versants français, (…), C’est qu’à vrai dire, la nature n’a pas dessiné une Bourgogne : elle a simplement articulé un axe où s’embranchent des routes, (…) Autour d’un bouquet de hautes vallées convergentes dont les eaux se déversent ensuite dans tous les sens, un habitat humain s’est crée, tantôt plus vaste, tantôt plus restreint. » Fragment pris dans : Calmette, J., (1956), Les grands ducs de Bourgogne, Paris; Albin Michel, p. 11.

7 Calmette, J., (1956), Les grands ducs de Bourgogne, Paris; Albin Michel, p. 13. 8

Ibidem, p. 14.

9Une Bourgogne de Vienne, une Bourgogne d’Arles, une Bourgogne franque et une Bourgogne

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Pendant le règne de ce roi, la Bourgogne, en tant que royaume qui jouait d’une grande

liberté politique, n’existait plus et était divisée en des comtés dépendant immédiatement du pouvoir central, une division d’où se développerait le futur duché de Bourgogne10.

Parmi les éléments qui ont contribué au déclin de la Bourgogne royale, la montée féodale et l’union de plusieurs comtés bourguignons étaient les plus importants11. Pourtant, n’oublions pas de nommer l’ampleur de la grande rupture en Europe qui a entraîné non seulement la fondation de la France et de l’Allemagne, mais aussi de la Hollande, de la principauté de Liège, du Hainaut et de la Flandre, qui devenaient, grâce à leur richesse, des régions quasi indépendantes12.

La première attestation du titre de « duc » au pays bourguignon, remonte à

l’époque de la féodalité croissante. Nous parlons ici d’une période qui couvre presque deux siècles, le IXe et le Xe, pendant lesquels « pouvoirs et terres se concèdent sous la forme de bénéfices »13. Il n’est donc pas étonnant que la plupart des historiens de nos jours décrivent

les ducs de cette période comme des « ducs bénéficiaires »14.

Le premier magistrat qui remplissait le rôle de « duc de Bourgogne », était Richard II de Bourgogne, au début du Xe siècle15. Celui-ci, fidèle aux rois français, dominait le sud de la Bourgogne et en faisait son propre « duché »16

. C’était dans cette

période que, sous la pression de différents pouvoirs, la Bourgogne a su survivre et maintenir son statut de duché distinct parmi l’empire et le domaine royal17.

Le stade suivant de l’évolution de la Bourgogne commençait vers l’an 1004. Après une longue lutte entre le roi de France, Robert II le Pieux, et Othe Guillaume, comte de Bourgogne18, le duché bourguignon fut annexé au royaume français de la famille capétienne. C’est ainsi que commençait une très longue période de succession

10

« La Bourgogne vague de l’Empire unitaire a été condensée, puis coupée en deux par le traité de Verdun de 843. Une Bourgogne française est dessinée en bordure de la France de Charles. Une Bourgogne impériale est comprise dans l’État de Lothaire : le double cadre du duché et de la Franche Comté ou comté de Bourgogne est ainsi virtuellement tracé pour l’avenir. »Citation prise dans :

Calmette, J. (1956), Les grands ducs de Bourgogne, Paris; Albin Michel, p.17.

11 Fourquin, G., (1970), Seigneurie et féodalité au Moyen Age, Paris ; PUF, pp. 15 – 17. 12

Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384 – 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 17.

13 Calmette, J., (1956), Les grands ducs de Bourgogne, Paris; Albin Michel, p. 18. 14 Ibidem.

15 Richard, J., (1978), Histoire de la Bourgogne, Paris; Édouard Privat Éditeur, p.131. 16

Schnerb, B., (1999), L’État bourguignon, 1363 – 1477, Paris ; Perrin, p. 14.

17 Ibidem.

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héréditaire des Capétiens qui a fortement marqué la France médiévale19. Bien que la dynastie bourguignonne se soit faite par différentes voies très intéressantes à élaborer, nous nous contentons de dire que, pendant la domination des Capétiens, la Bourgogne s’est bien développée d’un point de vue économique et géologique.

En 1361, après une période de plus de trois cent ans pendant laquelle la succession régulière des ducs de Bourgogne n’a pas été interrompue, ce fil solide fut brisé par la mort de Philippe de Rouvres, le dernier du lignage des Capétiens20. Ce fut son décès qui ouvrit la période du règne de la maison des Valois avec Jean le Bon, roi de France, comme premier représentant21. Sous sa domination, la Bourgogne resta fortement attachée à la couronne française.

En 1364, Jean le Bon voulait assurer la sécurité du duché qui se trouvait menacé par les « Grandes Compagnies » qui ravageaient la France22. Comme suite à ces

dévastations, Jean le Bon faisait installer son fils, Philippe le Hardi au duché de Bourgogne, en tant que lieutenant pour « organiser ainsi des gouvernements régionaux et apporter une réponse aux nécessités du temps »23. Cependant, l’installation de son dernier fils dans le duché, une région très fière de son indépendance, était aussi issue d’un autre motif : En mettant son fon fils à la tête du duché, le roi « exprimait donc la volonté de créer une nouvelle dynastie de Bourgogne, issue d’une branche cadette de la famille royale »24. C’est ainsi que commençait la domination de Philippe le Hardi, le premier des « grands ducs de Bourgogne, en l’an 136425.

1.2 : La maison des Valois : les « quatre gros et fors puissans piliers »26

de la

Bourgogne médiévale

19 Dans cette période, pendant laquelle la maison Capétienne de France et celle de Bourgogne existaient

l’une à côté de l’autre, le système féodal fut la structure préférée de l’organisation de la société. Il s’ensuit que la tache primordiale des Capétiens consistait en l’acquisition des terres et en l’organisation de celles-ci. Ainsi se sont composés la France royale d’un côté, et le duché de Bourgogne de l’autre.

20 Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384

– 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 33.

21

Schnerb, B., (1999), L’État bourguignon, 1363 – 1477, Paris ; Perrin, pp. 21 – 23.

22 Ibidem, p. 39. 23 Ibidem, p. 37.

24 Schnerb, B., (1999), L’État bourguignon, 1363 – 1477, Paris ; Perrin, p. 40.

25 Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384

– 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p.13.

26 Doutrepont, G. et Jodogne, O., (1935), Chroniques de Jean Molinet, tome 1 (1474 – 1488), Bruxelles ;

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Il n’entre pas dans le cadre de notre étude de traiter explicitement de la vie politique des Valois et d’en décrire tous les événements qui se sont produits pendant la dominance des quatre « grands ducs » de Bourgogne. Pourtant, une courte explication des actes politiques les plus importants nous aidera à mieux comprendre comment la Bourgogne s’est formée au courant du XIVe et XVe siècles. En outre, elle contribuera à nous faire comprendre dans quelle optique Jean Molinet et Jean de Haynin contemplaient le monde et de quel point de vue ils ont composé leurs Chroniques. Commençons par la description des particularités du règne de Philippe le Hardi, le premier représentant de la maison des Valois.

1.2.1 : Philippe le Hardi

D’après Jean Molinet, Philippe le Hardi, né en 134227, était le premier des « quatre piliers » qui ont constitué la Bourgogne telle qu’elle était sous le règne de Charles le Téméraire à la fin du XVe siècle.

En 1363, le jeune prince recevait de son père Jean le Bon un comté, en l’occurrence la Touraine, en « apanage » pour lui permettre de soutenir son train de vie. Mais, en 1364 Philippe le Bon a changé la Touraine contre la Bourgogne28. En 1369, il prenait pour épouse Marguerite III de Flandre.

En tant que duc de Bourgogne, Philippe était devenu le voisin des deux cours les plus puissantes de l’époque, à savoir la France monarchique et le Saint Empire Romain Germanique. Son règne témoignait d’un grand désir d’extension territoriale, une politique dont ses successeurs assureront la continuité en montrant leur pensée cosmopolite. Avec de tels pouvoirs avoisinants, il s’agissait pour la Bourgogne de savoir manœuvrer entre ces deux maisons, afin de pouvoir s’élargir. La politique de la Bourgogne sous Philippe le Hardi se caractérisait ainsi par des traits dualistes. D’un côté Philippe désirait jouer un rôle féodal dans la France de Charles V29, tandis que de l’autre côté, il visait à une

27 Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384

– 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 27.

28

Ibidem.

29 Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384

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expansion vers l’est à travers des croisades vers Nicopolis30 et des attaques contre ce qui est devenu l’Allemagne de nos jours.

Philippe le Hardi inaugurait une forte politique matrimoniale31, l’un des éléments

les plus importants de la politique d’expansion territoriale des « grands ducs », afin de ramener la Franche - Comté sous sa dominance32. En dehors de la guerre avec l’Angleterre, la Bourgogne se trouvait également confrontée à une guerre à l’intérieur de son territoire, à savoir la prise de pouvoir de la classe populaire flamande dans la ville de Gand33.

Un autre événement important dans l’extension territoriale de la Bourgogne de Philippe le Hardi, fut la mort de son beau-père Louis de Maele, comte de Flandre et mari de Marguerite de Brabant, en 138434. Son décès impliquait l’héritage par Philippe le Hardi et sa femme Marguerite de plusieurs comtés dans le nord, parmi lesquels la Flandre et l’Artois.

D’un point de vue politique, les dernières années du règne du premier duc de Bourgogne se sont caractérisées par une rivalité croissante entre la Bourgogne et la France monarchique35, une lutte incessante qui menait à la mort du duc tout en laissant les caisses de la Bourgogne vides.

30 Schnerb, B., (1999), L’État bourguignon, 1363 – 1477, Paris ; Perrin, pp. 115 – 124.

31 Voir aussi: Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar

eenheid, 1384 – 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 95: « Een van de nuttigste methodes van aristocraten en koningen om zich bondgenoten te verschaffen en dynastieke belangen te dienen was een zorgvuldig gepland huwelijk ».

32 Autres liaisons par politique matrimoniale : le Brabant en 1385, le Luxembourg en 1387 et la Savoie en

1401. Voir aussi le réseau d’alliances avec la maison de Bavière qui faisait de la Bourgogne une « nation » importante pendant le règne de Philippe le Hardi. Informations prises dans: Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384 – 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 44: « Zijn grootste zet was echter het dubbelhuwelijk van Kamerijk in 1385 van de mannelijke erfgenamen van Bourgondië- Vlaanderen- Artesië en Henegouwen- Holland- Zeeland met elkaars zusters, een gebeurtenis van enorm politiek belang. Met dit huwelijk ontstond een vredesalliantie tussen de twee machtigste vorstengeslachten in de Nederlanden en via hen kwamen invloedssferen in het Duitse rijk en Frankrijk samen, (…). De dochter van Filips en Margareta van Bourgondië, amper tien jaar, huwde de twintigjarige Willem van Beieren. De zoon van Filips en Margareta, Jan van Bourgondië was dertien en huwde de tweeëntwintigjarige Margareta van Beieren. »

33 Pour en savoir plus, voir : Schnerb, B., (1999), L’État bourguignon, 1363 – 1477, Paris ; Perrin, pp. 63 –

73 et pp. 81 - 82.

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1.2.2 : Jean sans Peur

Né en 1371 comme fils aîné de Philippe le Hardi, Jean sans Peur succédait à son père en 1404 et ne dominait la Bourgogne que pendant 15 ans36. Sa politique d’extension territoriale était totalement différente de celle de son père et a profondément marqué la France médiévale. Au lieu de s’orienter vers l’est, comme l’a fait Philippe le Hardi, Jean sans Peur s’intéressait fortement aux affaires françaises37 Ceci aboutissait à une guerre interne entre le duc et Louis Ier d’Orléans pendant laquelle ce dernier trouvait la mort en 140738. Il s’ensuivait que d’autres grands seigneurs du royaume se rassemblaient autour de Bernard VII d’Armagnac, homme important à la cour royale, et se liguaient contre le duc. La France se jetait ainsi dans une guerre civile qui détruisait tout le pays, opposant les Bourguignons au parti des Armagnacs qui soutenaient la cause de Louis Ier d’Orléans

Pour ce qui est de la politique intérieure de la Bourgogne, celle-ci se caractérisait par le centralisme39, par la stabilité croissante et par l’agrandissement du duché à travers, à nouveau, une politique matrimoniale. Ainsi, Jean sans Peur a su incorporer dans son duché les Pays-Bas Bourguignons. Il a également annexé la Picardie, la Boulogne40 et la principauté de Liège41.

À côté de ces axes centraux de la politique d’extension territoriale, la conduite de Jean sans Peur envers l’Angleterre d’Henry IV témoigne d’une vision extrêmement pacifiste rapprochant la Bourgogne et l’Angleterre à partir des trêves de 1392. Cette coalition anglo-bourguignonne était parfaite et les Armagnacs se trouvaient menacés de deux côtés maintenant. Il s’ensuivait que, en 1418, la Bourgogne et la France se sont rapprochées par la fragile paix de Pouilly42.

36 Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384

– 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 51.

37

Ibidem, pp. 55 – 62.

38 Ibidem, p. 57 et Schnerb, B., (1999), L’État bourguignon, 1363 – 1477, Paris ; Perrin, p. 148.

39 Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384

– 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 63.

40 Richard, J., (1978), Histoire de la Bourgogne, Paris; Éditeur Privat, p. 189. 41

Schnerb, B., (1999), L’État bourguignon, 1363 – 1477, Paris ; Perrin, pp. 150 – 151.

42 Pour plus d’informations en ce qui concerne la paix de Pouilly, consulter : Schnerb, B., (1999), L’État

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Cependant, en 1419, lors d’un entretien entre la France et la Bourgogne sur la réconciliation entre ces deux pouvoirs, le duc fut assassiné par des Armagnacs43 qui craignaient que la France tombe entre les mains des Bourguignons.

1.2.3: Philippe le Bon

Philippe le Bon, fils unique de Jean sans Peur et Marguerite de Bavière et fort amateur d’arts, est né en 139644. C’est pendant sa dominance sur la Bourgogne que les

deux auteurs que nous étudions, Jean Molinet et Jean de Haynin, sont nés.

En 1420, un an après son avènement, Philippe le Bon a décidé de maintenir l’alliance anglo-bourguignonne. D’un côté par peur d’une alliance entre la France monarchique et l’Angleterre sous Henry V45. De l’autre, pour pouvoir se venger de la mort de son père. Au début des années 30 du XVe siècle par contre, nous constatons un changement total dans la vision politique du duc. Avec l’impuissance de l’armée anglaise et la malchance financière croissante de l’Angleterre d’un côté et pour prévenir une forte alliance anti-bourguignonne de l’autre, Philippe le Bon a décidé de se rattacher à la France de Charles VII par le Traité d’Arras et de briser ainsi la convention avec les Anglais et Henry VI en 143546.

Pourtant, en 1439, le ciel semblait se dégager quand les Anglais et les Bourguignons se rapprochaient pendant les négociations de paix en Gravelines 47. Bien que les rapports entre les deux pouvoirs se soient vraiment améliorés, tant dans le domaine économique que sur le plan politique, il fallait encore attendre la mort de Charles VII en 1461 avant que la relation ne se soit complètement rétablie.

Sur le plan de l’extension territoriale, le règne de Philippe le Bon se caractérisait par l’expansion et par la stabilité48. Discernant mal la ligne politique qu’il voulait suivre

43 Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384

– 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 63.

44 Ibidem, p. 58. 45

Schnerb, B., (1999), L’État bourguignon, 1363 – 1477, Paris ; Perrin, p. 169.

46 Ibidem, pp. 185 – 189.

47 La paix de Gravelines, 1439 : Une longue trêve entre Henri VI d’Angleterre et la Bourgogne comportant

trois piliers importants : La pacification entre la France et l’Angleterre laissée pendant depuis une autre trêve de 1437 ; le rétablissement des échanges commerciaux entre les deux cours et enfin la suspension des présentes hostilités entre Henry VI et Philippe le Bon.

48 Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384

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entre l’Angleterre et la France, le duc s’orientait surtout vers la France pour dessiner le paysage de l’état bourguignon ainsi que pour l’enrichissement de ses propres terres49. Pendant le règne de Philippe le Bon, le poids de la politique expansionniste a été mis sur l’expansion vers le nord, aboutissant à l’annexion de grandes parties des Pays-Bas de nos jours50. À côté des Pays-Bas bourguignons, Philippe le Bon fut fortement intéressé par l’annexion de plusieurs terres allemandes à son propre profit, un désir partagé par son successeur Charles le Téméraire 51.

Enfin, par différentes mariages52 et une bonne politique, Philippe le Bon faisait de la Bourgogne l’une des cours les plus riches de toute l’Europe médiévale53.

1.2.4 : Charles le Téméraire

« C’était à l’inverse de Philippe, un travailleur acharné : « plus qu’il ne seoit à tel prince », (…). C’était un impulsif, « aigre en son vouloir et aigu en ses mots ». C’était surtout un ambitieux, un orgueilleux, un entêté, ignorant le frein de la mesure. »54

C’est ainsi que Georges Chastelain, le premier historiographe officiel de la cour de Bourgogne, caractérisait le dernier des « quatre grands » ducs de Bourgogne, le mécène du chroniqueur Jean Molinet et du mémorialiste Jean de Haynin.

La dominance de Charles de Bourgogne ne s’accompagnait que de violence et de guerres incessantes entre la Bourgogne et la France de Louis XI, dévorant toutes les ressources de l’état bourguignon. Une région qui était déjà en déclin55.

49 Voir par exemple : Schnerb, B., (1999), L’État bourguignon, 1363 – 1477, Paris ; Perrin, pp. 189 – 196,

pp. 201 – 202. De plus: Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384 – 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p.81: « Alles lijkt erop te wijzen dat Filips de Goede vrij snel na de gebeurtenissen van 1419 reageerde op de dwingende noodzaak een politieke strategie uit te bouwen in de lijn van zijn vader en grootvader. »

50 Nous parlons ici de la Hollande, de Zélande, de la Frise, du Hainaut et finalement du Brabant, du

Limbourg, du Lothier et du Luxembourg.

51Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384

– 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 197.

52

Ibidem, pp. 95 – 96.

53 Voir: Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid,

1384 – 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 91: « Een van de meest treffende aspecten van de uitoefening van politieke macht in laatmiddeleeuws Europa is de dominante rol van het vorstelijke hof. Met het verval van het hof te Parijs, werd het hof van de hertogen van Bourgondië, vooral onder Filips de Goede, het meest bewonderde in Europa. »

(15)

Nous donnerons un bref aperçu de quelques événements politiques qui ont fortement marqué l’histoire de la Bourgogne. Premièrement, il faut nommer les négociations de paix entre Louis XI et Charles le Téméraire à Péronne en 146856, menant

à l’apogée de la puissance de la Bourgogne. Puis, l’association entre l’Angleterre et la Bourgogne s’est renforcée durant la même année, à travers un mariage entre Charles et Marguerite d’York, sœur du roi anglais Edouard IV57, mais cette union semblait raviver la Guerre de Cent Ans58. Sept ans plus tard, Louis XI dénouait l’alliance franco-bourguignonne en signant la paix entre l’Angleterre et la France royale, pour ainsi mettre fin à la Guerre de Cent Ans et pour laisser Charles le Téméraire tout seul à cette époque guerrière. Au lieu de se tenir sur la défensive au côté est de son duché et de préparer une offensive au côté ouest avec les Anglais, Charles le Téméraire a pris le contre-pied59, marquant ainsi le grand tournant de la destinée bourguignonne et creusant sa propre tombe60. Bien que Charles le Téméraire soit un grand homme politique, il nourrissait en effet le désir irréalisable de relier les terres de son duché à celles de ses comtés dans le nord de la France, les Pays-Bas bourguignons, afin de fonder sur tout son territoire un grand duché. Cette réalisation impliquerait un défi constant du roi de France. Par conséquent, il faisait tout son possible pour essayer de se lier aux Habsbourg61, afin de pouvoir créer le royaume lotharingien déjà voulu par son père.

Cependant, ces aspirations l’ont entraîné dans une suite de guerres incessantes, endettant et ruinant ainsi le duché.

Nommons les trois luttes les plus importantes décrites par Jean de Haynin et Jean Molinet, inaugurant la fin du règne de Charles le Téméraire et la ruine du duché ducal

56 Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384

– 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 203.

57

Schnerb, B., (1999), L’État bourguignon, 1363 – 1477, Paris ; Perrin, p. 409.

58 Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384

– 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 207.

59 Schnerb, B., (1999), L’État bourguignon, 1363 – 1477, Paris ; Perrin, p. 412. 60 Richard, J. (1978), Histoire de la Bourgogne, Paris ; Edouard Privat, p. 194. 61

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bourguignon : Le siège de Neuss, l’occupation de la Lorraine et enfin le siège de Nancy où Charles le Téméraire a trouvé la mort en 147762.

Telle était la situation politique de la Bourgogne où vivaient Jean de Haynin et Jean Molinet et où ils composaient leurs Chroniques et Mémoires racontant les événements les plus importants qui se sont produits pendant leurs vies.

1.3 La Bourgogne de Jean Molinet et Jean de Haynin : pouvoir économique et société en déclin

À côté du développement politique de la Bourgogne pendant le gouvernement des quatre ducs, il faut aussi insister sur le développement social de la cour, pour pouvoir discerner comment le duché est arrivé à jouer un rôle tellement important à la fin du Moyen Âge. Ainsi, nous comprenons mieux l’importance croissante de la cour et l’environnement dans lequel les écrivains vivaient au cours des XIVe et XVe siècles.

En dépit de tous les actes guerriers qui se sont développés sous la dominance des quatre « grands ducs de Bourgogne », nous voyons aussi s’élever toute une société économique63. L’alliance entre les princes et la noblesse était de plus en plus visible à cette époque et impliquait non seulement un accroissement du public littéraire, mais encore une occasion parfaite pour les ducs de faire accroître leur renommée64.

Sous le règne du dernier prince des capétiens, la Bourgogne a acquis une définition territoriale prête à résister aux guerres incessantes. Au début du règne Valois, le cadre hérité de l’époque féodale restait encore reconnaissable dans le monde bourguignon où la noblesse, en tant que pouvoir économique, se trouvait toujours au centre de l’attention. En somme, rien ne semblait avoir changé. Pourtant, cette noblesse « s’ouvre à des hommes nouveaux, qui viennent du monde des gens de loi, enrichis et honorés par le service ducal»65 ; elle était constituée de gens venant des comtés liés au duché à travers la politique matrimoniale des ducs de Bourgogne.

62

Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384 – 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, pp. 206 – 208.

63 Ibidem, p. 116.

64 « Dans les cinq bailliages- Dijonnais, Auxois, Montagne (le Châtillonnais), Autun et Montcenis, Chalon-

se développe une vie économique liée à un état de la société qui caractérise le début de la période où les ducs Valois vont gouverner la Bourgogne. » Citation prise dans : Richard, J., (1978), Histoire de la Bourgogne, Paris ; Édouard Privat Éditeur, p.167.

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Bien que les villes se dotent d’une fonction de plus en plus importante dans la société médiévale bourguignonne, c’est la cour ducale qui reste le centre de toutes les occupations. Un lieu où se rassemblent les activités culturelles ainsi qu’un endroit où avaient lieu les manifestations les plus importantes66.

À cette époque, la cour bourguignonne savait plaire à la bourgeoisie croissante des villes. Elle leur présentait des propositions intéressantes et ainsi de plus en plus de membres de la noblesse bourgeoise se sont attachés à la cour ducale, élargissant ainsi le lectorat des écrivains. Grâce à cet appui de la bourgeoisie et de la richesse abondante des villes Flamandes, la maison de Bourgogne se voyait devenir le centre de la civilisation française à cette époque.

Dans la France royale, la production artistique ne progressait plus à cause de la guerre de Cent Ans. Par contre, en Bourgogne les beaux-arts étaient une catégorie en plein développement, se caractérisant par la production d’un nombre infini de tableaux, de tapisseries, de sculptures et de livres, notamment sous le règne de Philippe le Bon67.

Heureusement située entre deux grands pouvoirs économiques, se trouvant entre les Alpes et le Jura et irriguée par la Seine, le Loire, le Saône et le Yonne qui la mettaient en relation avec plusieurs pays, la Bourgogne se trouvait fortement favorisée par un renouveau de l’économie d’échanges au Moyen Âge. Ainsi, les « grands ducs » Valois étaient capables d’attirer les plus grands artistes de l’époque. Il s’ensuivait que cette cour était le plus grand concurrent de la France royale, non seulement dans le domaine économique mais aussi sur le plan artistique. Un domaine dans lequel l’écriture formait un élément très important.

66 Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384

– 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 96: « Het Bourgondische hofleven werd een prototype in Europa, een na te volgen model ».

(18)

Pourtant, cette prospérité croissante ne pouvait empêcher que les grandes épidémies68 et les guerres qui ravageaient la Bourgogne causaient une mortalité bien élevée.

Le fait que les ducs de Bourgogne occupent une place si importante dans l’histoire et dans la littérature française s’explique par le fait que ces princes ont su construire un « état dont l’ampleur dépasse celle des autres États du même genre, au moins dans l’aire française »69. Le vrai pouvoir de la Bourgogne des Valois se trouvait dans le nord de leurs terres : Les Pays-Bas bourguignons. Cette partie de l’état, reconnue de manière officielle en tant que territoire bourguignon à partir du règne du troisième « grand duc », était surtout importante pour la Bourgogne à cause de l’industrie de la draperie et de l’écriture des poètes qui venaient tous des Pays- Bas Bourguignons.

Pourtant, sous la dominance de Charles le Téméraire, toutes ces merveilles construites pendant les règnes antérieurs se sont détruites à cause de la convoitise territoriale du duc. La dominance politique de la Bourgogne ne s’est pas perpétuée plus longtemps : bien avant l’avènement de Charles le Téméraire, la maison des Valois avait déjà perdu beaucoup de son pouvoir politique.

En somme, nous pouvons dire que tous ces développements guerriers et économiques ont laissé leur empreinte dans la littérature de la Bourgogne, l’espace territorial où vivaient Jean Molinet et Jean de Haynin.

68

Blockmans, W. et Prevenier, W., (1997), De Bourgondiërs, De Nederlanden op weg naar eenheid, 1384 – 1530, Amsterdam; Meulenhoff, Kritak, p. 21.

(19)

Chapitre 2 : Les belles lettres bourguignonnes et l’itinéraire historiographique

médiéval

De nos jours, notre conception du monde et de notre propre passé se forme essentiellement par les médias qui nous fournissent, 24 heures sur 24, toutes les nouvelles possibles. Par contre, à la fin du Moyen Âge, on ne disposait point de tous ces moyens. À cette époque, le poète officiel, en tant que conseiller du prince et chroniqueur officiel de la cour, remplissait la fonction importante de présenter toutes les nouvelles à l’apparat de la cour.

Dans ce deuxième chapitre, nous étudierons l’importance de la littérature pour les Valois et leur désir de doter leur cour de l’office d’historiographe officiel. Nous décrivons en quoi consistait cette charge importante. Ensuite, nous mettrons l’accent sur la naissance des Chroniques et la fonction importante que remplissaient les Grands Rhétoriqueurs à la cour médiévale, afin de mieux comprendre l’importance de leurs œuvres historiographiques construites tout au long du Moyen Âge. Nous finirons cette partie par un examen de l’importance de la rhétorique dans l’ouvrage, tout en montrant les trois sections indispensables de la composition d’un bon récit: l’inventio, la dispositio et l’élocutio.

2.1 : Le statut de la littérature à la cour de Bourgogne

L’amour des livres à la cour de la Bourgogne était très important pour la famille des Valois. Leur dépôt littéraire compose un :

« musée et bibliothèque à la fois, a-t-on dit, collection artistique et littéraire. Le dépôt de Bourgogne est une véritable guide dans l’histoire de la peinture et des arts. »70

La bibliothèque des Valois présentait donc une collection littéraire de haut prix, proclamant le prestige de cette maison:

« L’admiration ne se lasse pas devant les splendides tableaux de présentation par lesquels s’ouvrent ses manuscrits, devant les brillants épisodes d’histoire et les ingénieuses interprétations allégoriques qui arrivent ensuite pour commenter le texte, devant la délicat ornementation des

70 Doutrepont, G., (1970), La littérature Française a la cour des ducs de Bourgogne, Genève ; Slatkine

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lettrines et des encadrements qui sont dispersés çà et là, n’ayant généralement pas de but précis, si ce n’est celui de réjouir les yeux des « lisans ». » 71

La collection bourguignonne est largement fournie de livres religieux et d’ouvrages de dévotion72, de romans de chevalerie73, d’ouvrages politiques et patristiques et de traductions des textes de l’Antiquité. Elle l’est plus encore en livres où il est question de la vertu, des saints et de la Sainte Vierge. De plus, n’oublions pas que « les ducs et leurs proches passaient commande à des maîtres copistes et traducteurs qui réalisaient spécialement pour eux des manuscrits luxueusement calligraphiés et enluminés »74. Bref, des livres qui mettent sous les yeux le passé.

Une littérature officielle était instaurée par les ducs de Bourgogne pour glorifier la maison des Valois. Plus on avance dans le temps, plus la littérature devenait importante pour ces seigneurs bourguignons. Ce pouvoir de la littérature doit être accordé au souhait croissant des grands seigneurs médiévaux, qui voulaient enrichir leurs châteaux de bibliothèques pleines de chefs d’œuvre :

« Alliant à leurs talents politiques et militaires une passion éclairée pour les lettres et les arts, ces grands seigneurs entendent disposer à leur guise des œuvres maîtresses du patrimoine littéraire et trouvent le moyen de se les approprier en suscitant sans cesse de nouvelles réécritures. »75

S’y ajoute encore le goût de ces seigneurs qui, d’un point de vue esthétique, préféraient la prose au vers. Selon, Claude Thiry, la littérature bourguignonne existait depuis la production des propres œuvres littéraires du duché76. C'est-à-dire ; dès le règne de Jean sans Peur77. L’élément « bourguignon » de cette littérature se trouve dans le fait qu’elle était anti- française. Telle est la bonne description de la littérature produite sous la dominance des « grands ducs » de Bourgogne. Au fil du temps, la production des ouvrages se déplaçait de plus en plus vers le Nord du duché. Sous la Bourgogne de

71 Doutrepont, G., (1970), La littérature Française a la cour des ducs de Bourgogne, Genève ; Slatkine

Reprints, pp. 460 – 461.

72 Schnerb, B., (1999), L’État bourguignon, 1363 – 1477, Paris ; Perrin, p. 350. 73 Ibidem, p. 349.

74

Ibidem, p. 347.

75 Devaux, J., (2005), « L’art de la mise en prose à la cour de Bourgogne, Jean Molinet, dérimeur du

Roman de la Rose. », dans : Le moyen français : rassegna di studi linguistici e letterari, Palermo ; Italo-Latino-Americana Palma, p. 88.

76 Thiry, Cl., (1995) « Rhétoriqueurs de Bourgogne, rhétoriqueurs de France, convergences, divergences »,

dans: Verhandelingen der Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen, volume 162, Amsterdam; Van der Post, p. 101.

(21)

Philippe le Bon par exemple, tous les poètes qui étaient attachés à la cour de Bourgogne venaient des comtés du Nord. Avec la venue de Charles le Téméraire, ceci ne faisait que s’accroître: Il était bourguignon et s’orientait vers le Nord, la littérature en faisait autant. Nous remarquons donc que la littérature bourguignonne avait la tendance de suivre les développements politiques. Passons maintenant à la littérature produite sous le règne de Charles le Téméraire.

2.1.1 : Charles le Téméraire : grand amateur de littérature

« Moult voulentiers preste temps à oyr lire pour retenir des anciens dignes de recomendacion. »78

Telle fut la description donnée du goût littéraire de Charles Téméraire par le traducteur anonyme des Anciennes Chroniques de Pise79. Sous le règne de ce duc, « le protectorat des lettres fut sérieux et généreux », et Charles le Téméraire s’est imposé des dépenses considérables afin d’honorer et de garder les chefs-d’œuvre dans ses bibliothèques.

Pendant son règne, Charles le Téméraire commandait la traduction de plusieurs œuvres classiques. De cette façon, il faisait accroître la collection littéraire bourguignonne.

De plus, sous son règne, la poésie lyrique, sous forme de poèmes de circonstance, mettait l’accent sur la lutte éternelle contre la France monarchique. Louis XI qui se voyait également entouré de plusieurs poètes s’engageait lui aussi dans le conflit contre la Bourgogne ; une lutte littéraire qui se prolongeait jusqu’à la mort du duc à Nancy en 1477. Sur la production des Chroniques, nous savons que Charles le Téméraire a repris l’habitude de munir la cour d’un historiographe officiel, tout comme l’a fait son père.

Dans ce qui suit, nous décrivons quand fut fondée l’écriture historiographique française et quelle en fut l’importance dans les cours.

78

Doutrepont, G., (1970), La littérature Française a la cour des ducs de Bourgogne, Genève ; Slatkine Reprints, p. 468.

(22)

2.2 : La chronique : son essor

L’écriture historiographique, telle que nous la retrouvons chez les chroniqueurs de la cour de Bourgogne, remonte à l’époque carolingienne. À cette ère se voit naître l’écriture des Chroniques, répondant à des motifs politiques du pouvoir central français. Sous Charlemagne (768 – 814), qui souhaitait la rédaction des annales de son règne afin de servir la gloire, « on tente de façon répétée d’établir des chronologies universelles qui opèrent la synthèse de l’histoire biblique et de celle de l’Antiquité païenne. Annales, Chroniques et histoires sont des genres distincts, correspondant à des degrés croissant de recul par rapport aux événements et d’élaboration intellectuelle et littéraire. »80.

Au tournant du XIIIe siècle, la tendance à continuer de réécrire les légendes et les événements particuliers en latin versifié ne suffisait plus. À cette époque, le souci d’écrire l’histoire, « l’effort pour mettre en lumière des origines « nationales » », sous-tendait la composition des premières « Chroniques françaises ». La première grande œuvre écrite en langue vernaculaire et en prose fut les Grandes Chroniques de France, composées à Saint-Denis entre 1274 – 135081. À partir de ce moment-là, les historiographes constataient que la littérature en vers ne suffisait plus pour montrer la vérité82 et passaient à l’écriture en prose.

Vers la fin du Moyen Âge, l’auteur des Chroniques cherchait à nous donner une représentation beaucoup plus intellectuelle des événements. La tache du chroniqueur constituait à faire revivre les grands événements du règne de son maître83. Il ne s’agit pas

ici d’une simple énumération des faits mais plutôt d’un essai du côté des auteurs de plonger le lecteur dans les actions décrites. L’écrivain nous montre ses émotions et essaie de gagner le lecteur pour la cause décrite. Cependant, le fait d’insérer trop de sentiments dans les Chroniques a aussi une connotation négative pour la vraisemblance du texte. Ils la rendent souvent trop subjective, faisant ainsi tort au récit des événements.

80 Zink, M., (2004), Littérature française du Moyen Âge, Paris ; PUF, p. 188. 81 Ibidem.

82

Guenée, B., (1980), Histoire et Culture historique dans l’Occident médiéval, Paris ; Aubier-Montaigne, p. 62.

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2.2.1. L’historiographie au Moyen Âge : occupation principale, ou passe-temps des poètes ?

À cause de la longueur et de la profonde hétérogénéité de la période médiévale, il nous est impossible de donner une vision homogène de l’écriture historiographique qui se développait entre 800 et 150084. La mission de l’historiographe consiste en l’exposition des faits passés. Mais, quelle était alors la vraie charge de l’historien à cette époque ? Selon Bernard Guenée, l’historiographie servait trois buts différents et consécutifs au cours du Moyen Âge. Autour du Xe siècle, la religion avait recours à l’historiographie afin de donner une interprétation littérale de l’Ancien et du Nouveau Testament85. L’historiographie fonctionnait alors comme « sous-produit de la religion. »86. Deux siècles plus tard, le souci de plaire aux lecteurs semblait avoir remplacé l’importance de transmettre la vérité. On constate ainsi une historiographie proche de la littérature. Tout au long du XIVe et XVe siècles, un troisième type d’écriture historiographique se développait. Au service des villes et des princes, des administrateurs et des clercs, il y avait rhétoriqueurs qui travaillaient pour la plupart du temps dans leurs cabinets, recherchaient et reconstituaient l’histoire en faveur de leurs mécènes87. Cette nouvelle branche de l’historiographie, instaurée aux cours princières médiévales, impliquait une forte participation des poètes officiels dans les missions menées par leurs princes. Afin que leurs textes répondent aux exigences de leurs maîtres, un engagement dans les actes politiques ou guerriers, soit comme conseiller pendant des négociations de paix, soit en tant que chevalier dans l’armée, était donc indispensable pour l’« historien ». Ces historiographes étaient menés à glorifier le pouvoir de leurs maîtres, transformant ainsi l’historiographie en un récit purement politique88. Nous finirons alors par dire que malgré l’instauration de l’office d’historiographe officiel de la cour, l’historiographie n’était jamais l’occupation principale des auteurs dans les différentes périodes.

84 Guenée, B., (1977),

« Y a-t-il une historiographie médiévale ? » dans : Politique au Moyen – Age, recueil

d’articles sur l’historiographie médiévale, Paris ; Sorbonne, p. 207.

85

À cette époque les historiographes étaient donc des moines utilisant les Chroniques afin d’atteindre les fidèles à travers des interprétations des Ecrits Saints.

86 Guenée, B., (1977), « Y a-t-il une historiographie médiévale ? » dans : Politique au Moyen – Age, recueil

d’articles sur l’historiographie médiévale, Paris ; Sorbonne, p. 205.

87 Poiron, D., (1965), Le poète et le prince, l’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à

Charles d’Orléans, Grenoble ; Imprimerie Allier, p.47.

88 Guenée, B., (1977), « Y a-t-il une historiographie médiévale ? » dans : Politique au Moyen – Age, recueil

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2.2.2 : La fonction de l’historiographe de la cour

Comme le définit F. Cornilliat, l’historiographe officiel de la cour se voit doté de la tâche suivante :

« La forme la plus pure de ce mandat consiste à raconter sur le mode « démonstratif » les actions du prince et les événements marquants de son règne, année par année, (…). »89

Bien que ce ne soit qu’au XVIe siècle que, sous l’influence de l’humanisme, l’expression « historiographe » se voit appliquée à la charge d’historien officiel du royaume, cette fonction apparaît déjà au XVe siècle.

En sa fonction d’historiographe officiel de la cour, le poète de la cour était le porte-parole de son maître. À travers ses œuvres, soit en vers, soit en prose, il prenait part aux différents débats politiques de son époque, au bénéfice de son prince. De cette façon, il mettait sa plume au service de sa confession afin de tenter de convaincre les indécis et les adversaires de son patron. En maîtrisant le champ politique pendant le XVe et XVIe siècles, l’historiographe se trouve de plus en plus engagé dans le domaine politique en tant que transmetteur de la « vérité ». C’était lui qui était chargé par le duc, ou bien par le roi quand on parle de la cour royale, de mettre par écrit les débats politiques.

À cette époque, avoir les vertus proprement politiques et les qualités indispensables à chaque chrétien étaient d’importance pour pouvoir remplir la fonction de prince. Et, ce fut donc l’historiographe qui devrait offrir une telle image à ses mécènes :

« Si la naissance assure dans l’ordre juridique la légitimité dus seigneur naturel, les mérites personnels du monarque fournissent en effet une justification éthique à l’éminence de sa dignité. » 90

Les Chroniques de la cour, mettant en œuvre neuf fois sur dix l’éloge du duc, peuvent non seulement être considérées comme un conseil au seigneur, pour lui démontrer ce qu’il faut faire, mais aussi comme un avertissement aux adversaires du duc, ce qui

89 Cornilliat, F., (2001), « Fonction éthique et sociale de la poésie ; la « Grande Rhétorique » entre le

conseil et l’éloge », dans : Galland-Hallyn, P. et Hallyn, F., (2001), Poétiques de la Renaissance, le modèle italien, le monde franco-bourguignon et leur héritage en France au XVIe siècle, Genève ; Droz, p. 327.

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semble devenir de plus en plus important91. De ce point de vue, les Chroniques pourraient bien être considérées comme soutien et défense du territoire bourguignon.

2.3 Les littérateurs du Moyen Âge : les Grands Rhétoriqueurs

De la situation guerrière de la fin du Moyen Âge découlait un monde qui se voyait bouleversé par de grands changements sur le plan politique ainsi qu’économique. À cette époque, où « les formes traditionnelles de l’imagination se perpétuaient en s’exaspérant » 92, certains poètes semblaient déchirés par l’incapacité qu’ils ressentaient, de connaître le monde dans lequel ils vivaient, et de montrer en des termes adéquats leurs sentiments93.

Les historiens de la littérature n’ont pas hésité à regrouper ces poètes sous le nom de « rhétoriqueurs ». Nous pouvons distinguer deux sous-ensembles de rhétoriqueurs : Premièrement, ceux qui écrivaient dans les territoires bourguignons sous Philippe le Bon, Charles le Téméraire et Marguerite, duchesse des Pays-Bas. Puis, ceux dans la France royale sous Charles VIII, la reine Anne, Louis XII et François Ier. En outre, ces deux groupes peuvent être divisés en trois générations consécutives : 1440-1450, 1460-1470 et 1480-1490. Enfin, les deux sous-ensembles se trouvent divisés en trois milieux sociaux : Les cours ducales, celle du roi et les confréries des puys94. Ainsi, les historiens de la littérature finissent par rédiger une liste, comportant un nombre très flottant d’auteurs de la seconde moitié du XVe siècle et de la première partie du XVIe siècle, où l’on distingue le groupe des « grands rhétoriqueurs », tels George Chastelain, Jean Molinet et Jean Lemaire de Belges, et celui des « petits rhétoriqueurs » et des « précurseurs »95.

Parmi toutes les raisons qu’avaient les princes et les ducs d’attacher des rhétoriqueurs à leurs cours, les motifs personnels des ducs bourguignons restaient les plus importants: « Parce que historiens, orateurs, romanciers et poètes importaient

91 Cornilliat, F., (2001), « Fonction éthique et sociale de la poésie ; la « Grande Rhétorique » entre le

conseil et l’éloge », dans : Galland-Hallyn, P. et Hallyn, F., (2001), Poétiques de la Renaissance, le modèle italien, le monde franco-bourguignon et leur héritage en France au XVIe siècle, Genève ; Droz, p. 328.

92 Zumthor, P., (1978), Le masque et la lumière, la poésie des Grands Rhétoriqueurs, Paris ; Seuil, p. 29. 93

Ibidem.

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essentiellement au jeu de cour, auquel ils confèrent le verbe. »96. Le premier rhétoriqueur chargé d’un tel travail fut George Chastelain. En tant que conseiller de Philippe le Bon, il devait :

« Mettre en fourne par maniere de cronique fais notables dignes de mémoire advenus par chi-devant et qui adviennent et puellent souvente fois advenir. »97

La raison principale de cette instauration se voit dans l’opposition qui existait toujours entre la France et la Bourgogne. La décision de la maison de Bourgogne de se doter d’un chroniqueur officiel, découlait du fait que la cour de la France royale, sous Charles VII, se voyait, en la personne de Jean Chartier, déjà fournie d’un historiographe depuis 143798. Les Bourguignons, qui ne voulaient pas demeurer en reste avec la France royale, estimaient qu’il était indispensable de s’imiter l’usage déjà instauré dans la France monarchique d’attacher eux aussi à leur cour un historiographe. Cependant, il ne faut pas oublier de mentionner la fascination que manifestaient les ducs pour l’écriture historiographique. À la cour de la maison de Bourgogne, trois Grands Rhétoriqueurs se succédaient pendant les XVe et XVIe siècles, à savoir : Georges Chastelain, Jean Molinet et Jean Lemaire de Belges

Une fois admis à la cour ducale, les rhétoriqueurs occupaient une place non spécifique parmi le personnel du duc. En temps de guerre, le poète officiel servait comme soldat ou bien comme diplomate, et en temps de fêtes on lui accordait la fonction d’organisateur. Ils furent bien traités aux cours et entrèrent dans de fonctions les plus différentes, mais en général très importantes. Pensons ici à celle de conseiller du duc, occupée par Chastelain en 147399.

2.3.1 : « L’intellectuel, au lieu de se penser lui-même, pense l’universalité »100 : la gloire et la prise de position politique

Au Moyen Âge, les princes devenaient objet de la gloire. À travers le pouvoir de la littérature, les rhétoriqueurs promettaient à leurs mécènes un renom éternel. La gloire,

96 Ibidem, p.42.

97 Devaux, J., (1996) Jean Molinet, Indiciaire Bourguignon, Paris ; Honoré Champion, p. 26. 98 Devaux, J., (1996) Jean Molinet, Indiciaire Bourguignon, Paris ; Honoré Champion, p. 27.

99 Small, G., (1997), George Chastelain and the Shaping of Valois Burgundy: Political and Historical

Culture at Court in the Fifteenth Century, Rochester; Boydell and Brewer Inc., p. 69.

100 Blanchard, J., (1986), « L’entrée du poète dans le champ politique au XV siècle », dans : Économies,

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dont nous parlons ici, se base sur les idées introduites par Christine de Pizan et Alain Chartier. Celles-ci concernaient entre autres la fermeté de l’âme et la sagesse d’où découlent les actions des princes et le fait que le puissant doit être un bon serviteur de la chose publique101. Ce type de louange se révélait surtout dans les « poèmes de circonstance ». Se servant des figures de style les plus difficiles afin de glorifier leurs maîtres, les poètes faisaient alors couler de l’encre pour le bien être de leurs maîtres. La notion de « gloire » demeurait l’un des thèmes les plus importants dans la littérature de la fin du Moyen Âge. Les ouvrages historiographiques composés par les rhétoriqueurs médiévaux montrent une mise en scène particulière de la gloire. Il s’agit ici de la louange de leur patrie, ou de leur prince qui commandait la composition des ouvrages102.

Au début du XVe siècle, la situation politique exigeait que l’écrivain passe à l’action pour protéger son maître. L’auteur était conscient de sa position, et s’apercevait de sa mission civique103. Il savait que ses ouvrages atteindraient un grand public et s’introduisait alors dans le champ politique afin d’influencer son mécène. Pour lui, glorifier ou blâmer les hommes politiques n’était pas de la propagande comme nous la connaissons de nos jours, mais comprenait une mission très morale que seuls eux, en fonction d’historiographe officiel, pouvaient remplir104. Les malheurs de l’époque le faisaient sortir de sa fonction normale de poète, prenant position et parlant au monde, afin de le réveiller105. Sous l’influence de Christine de Pizan106 et d’Alain Chartier, le poète officiel s’était chargé de la formation du prince et de la conduite d’âme107 soutenant ainsi que :

101 Ibidem, p. 49.

102 Jean Devaux le dit ainsi: « Le dessein informatif, d’ordinaire prédominant dans les projets

historiographiques à long terme, semble céder le pas à son désir d’exaltation : loin de se fixer pour premier objectif de fournir ‘une synthèse descriptive et narrative’ des faits relatifs à une époque et à une milieu donnés, le chroniqueur se propose avant tout d’exprimer par la puissance du langage les réactions subjectives – fureur ou enthousiasme – que suscitent chez lui les événements les plus marquants. » Citation prise dans : Devaux, J., (1996). Jean Molinet, indiciaire bourguignon, Paris ; Honoré Champion, p. 108.

103

Blanchard, J. et Mühletahler, J.-C., (2002), Écriture et pouvoir à l’aube des temps modernes, Paris ; PUF, pp. 40 – 41.

104 Ibidem, p. 14.

105 Blanchard, J., (1986) « L’entrée du poète dans le champ politique au XVe siècle », dans : Annales :

Économies, Sociétés, Civilisations, Paris ; Colin, p. 50.

106

Nous pensons ici aux ouvrages moralisateurs tels l’Avision Christine et la Mutacion de Fortune.

107 Blanchard, J. et Mühletahler, J.-C., (2002), Écriture et pouvoir à l’aube des temps modernes, Paris ;

(28)

« The real purpose of Rhetoric is to convince and persuade, in effect to end disputes and iron out dissent through a reasoned argument in which language will matter as much as ideas. »108

En quête de principes, le poète imposa au prince un système de valeurs et de vertus sur lequel devait reposer son excellence, se dotant ainsi d’une fonction pédagogique afin de sauver son pays109.

Bien que la notion de « propagande » se voie appliquée pour la première fois en 1622110, les récits rhétoriques et historiographiques composés par les chroniqueurs officiels de la cour s’installaient profondément dans la tradition propagandiste comme nous le montrerons aussi dans la partie analytique de notre étude. Pour mieux pouvoir convaincre le lectorat du pouvoir des princes, le chroniqueur se servait de la rhétorique.

2.4 : La rhétorique, ou l’art de bien parler

La rhétorique dont se servent les Grands Rhétoriqueurs remonte aux Classiques. Le sens le plus important de la rhétorique des Classiques est de convaincre les lecteurs afin de leur faire comprendre et accepter leurs idées111. Parmi tous les philosophes qui ont écrit sur la rhétorique, la conception d’Aristote est très importante. Ce philosophe grec, qui s’inspirait des idées sophistes de Gorgias112, des idées rationalisées de Socrate et d’Isocrate et des idées réformatrices de Platon113, constituait son propre système rhétorique. Sa doctrine de la dialectique « procède de la connaissance des « topiques », c'est-à-dire, des lieux communs, (…)114. » Il reprend les « principaux enseignements des

108

Taithe, B. et Thornton, T., (1999), « Propaganda: A misnomer of rhetoric and persuasion », dans: Propaganda, political rhetoric and identity, 1300-2000., Thrupp- Stroud – Gloucestershire; Sutton Publishing Limited- Phoenix Mill, p.3.

109 Blanchard, J. et Mühletahler, J.-C., (2002), Écriture et pouvoir à l’aube des temps modernes, Paris ;

PUF, pp. 41 – 51.

110

Taithe, B. et Thornton, T., (1999), « Propaganda: A misnomer of rhetoric and persuasion », dans: Propaganda, political rhetoric and identity, 1300-2000., Thrupp- Stroud – Gloucestershire; Sutton Publishing Limited- Phoenix Mill, p.1: Il s’agit ici de la Sacra Congregatio de Prapaganda Fide; une institution fondée par les papes pour propager les décisions prises pendant le concile de Trente.

111 Reboul, O., (1984), La Rhétorique, Paris; PUF, p. 6. 112

En tant qu’écrivain, il changeait le monde littéraire en insérant une multiplication de figures de style dans ses textes, introduisant ainsi le discours d’éloge comme nous le connaissons aujourd’hui. Informations prises dans : Reboul, O., (1984), La Rhétorique, Paris ; PUF, p.9.

113 Platon réclamait que la rhétorique n’était rien sans le contrôle de la raison. Une rupture entre la

philosophie et la rhétorique semblait irréversible.

114

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