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ÉTAT DES LIEUX

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ÉTAT DES LIEUX

du cinéma franco-algérien

de 1990 à 2010

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Table des matières

Introduction ... 4 1 Cadre historique ... 6 1.1 La francophonie ... 6 1.1.1 L’historique de la francophonie ... 6 1.1.2 L’Algérie et la francophonie ... 9 1.2 Le cinéma francophone ... 11 1.2.1 Distinctions nécessaires ... 11

1.2.2 Les cinémas maghrébins ... 13

1.2.3 Le cinéma ‘beur’ ... 16

1.3 Le cinéma algérien ... 18

1.3.1 Les années 1962 – 1989 : à la recherche d’une identité ... 18

1.3.2 Les années 1990 – 2010 : un cinéma en crise ? ... 20

1.3.3 État des lieux actuel du cinéma franco-algérien ... 24

2 Le cinéma francophone en Algérie de 1990 à 2010 ... 27

2.1 La guerre d’Algérie : le travail mémoriel ... 28

2.1.1 De la mémoire à l’histoire ... 28

2.1.2 La guerre d’Algérie à l’écran aujourd’hui ... 30

2.2 La guerre civile : le terrorisme et la violence ... 34

2.2.1 Les premières images d’une guerre invisible ... 34

2.2.2 Deux regards différents ... 36

2.3 Le retour aux origines ... 39

2.3.1 Le va-et-vient et le regard critique ... 39

2.3.2 Le choc culturel et l’exclusion sociale ... 41

2.4 La société et les femmes algériennes de Nadir Moknèche ... 44

2.4.1 Un autre regard sur l’Algérie : celui de l’humour ... 44

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3 Le cinéma francophone d’origine algérienne en France de 1990 à 2010 ... 50

3.1 Le chemin d’une famille : l’arrivée en France ... 51

3.1.1 L’engagement ou la recherche de repères et des origines ... 51

3.1.2 La famille algérienne en France : trois perspectives différentes ... 53

3.2 La vie dans les banlieues : deuxième et troisième générations ... 58

3.2.1 L’émergence du cinéma de banlieue ... 58

3.2.2 L’image de la banlieue dans trois films beur de 1990 à 2010 ... 60

3.3 La prise de distance pour et par l’humour ... 64

3.3.1 Le rôle de l’humour et l’humour hybride en France ... 64

3.3.2 L’humour et la question de l’identité ... 66

Conclusion ... 71

Filmographie ... 76

Bibliographie ... 77

Pièces annexes ... 82

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4 Introduction

Il est souvent dit que la culture est le reflet de la société et qu’elle est, par conséquent, toujours en mouvement. En effet, l’art étant un produit de l’homme et l’homme à son tour étant influencé par la société dans laquelle il vit, la culture – dans tous les sens – peut refléter la société. Celle-ci est en changement perpétuel, en fonction des grands événements historiques, politiques et sociaux.

Ainsi, la colonisation de l’Algérie par la France a eu une énorme influence sur les deux sociétés et sur l’expression culturelle qui en est issue. Pendant plus de 130 ans, la culture et la langue française se sont enracinées dans la société algérienne qui, après une longue guerre sanglante, s’est libérée de son colonisateur en 1962. Malgré les sentiments anti-français qui ont longtemps régné en Algérie et la montée de la puissance des islamistes dans les années 80, le pays est aujourd’hui quand même le deuxième pays du monde quand il s’agit du nombre de locuteurs français. Par conséquent, la culture d’expression française y est toujours assez vive. Nous pensons à la littérature de romanciers et de romancières tels que Mohammed Dib ou Assia Djebar, mais aussi à un art plus coûteux qu’est le cinéma et à des cinéastes tels que Merzak Allouache ou Nadir Moknèche.

En France, suite à la demande de main d’œuvre de l’après-guerre, s’est installée une communauté algérienne importante. Cette immigration s’est poursuivie pendant une grande partie du 20ème siècle et pour la société française, qui n’a pas toujours été très accueillante, elle a eu des conséquences considérables. Par ailleurs, l’expression culturelle née dans ce milieu d’algériens immigrés ou de ceux de la seconde génération d’immigrés – que l’on appelle les beurs – a longtemps été déterminée par ce qui les préoccupait tels la double appartenance et la double culture, la marginalité par rapport à la société française, la vie dans les banlieues, le chômage ou le racisme. L’écrivain Azouz Begag, la réalisatrice Yamina Benguigui ou le cinéaste Rachid Bouchareb en sont quelques exemples plus connus.

Parmi ces domaines culturels différents, celui du cinéma est sans doute le plus coûteux et donc encore plus dépendant des changements politiques, sociaux mais aussi économiques. C’est aussi à cause de cette dimension supplémentaire que nous nous sommes intéressés pour le cinéma en particulier.

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5 d’élaborer un ‘état des lieux’ du cinéma franco-algérien, c’est-à-dire le cinéma francophone en Algérie et le cinéma francophone d’origine algérienne en France1

.

Cela nous mène à notre question principale : Où en est le cinéma franco-algérien ? Afin de pouvoir y répondre, nous avons d’abord élaboré une filmographie de tous les longs métrages francophones réalisés entre 1990 et 2010 – période qui nous permettra de regarder l’évolution récente du cinéma franco-algérien –, pour ensuite en dégager un corpus à base thématique que nous regarderons de façon plus détaillée. Quels sont les points récurrents qui émergent et comment peut-on les expliquer en fonction de l’histoire franco-algérienne ? Dans quelle mesure les origines et les expériences des cinéastes jouent-ils un rôle ? Y est-t-il question de mouvements, de développements sur cette période de vingt ans ou par rapport aux films comparables produits plus tôt ?

Pour mettre en contexte cette étude, nous proposons d’abord un cadre historique dans lequel sont abordés des thèmes plus généraux, tels que la francophonie et la relation entre l’Algérie et la France, le cinéma francophone et le cinéma algérien. Etant donné que notre étude est vaste et qu’elle aborde des thématiques assez différentes, chacune d’entre elles sera introduite par un cadre historique ou théorique plus spécifique, qui permettra de mieux comprendre notre présentation des films et des thèmes.

Cette présentation se déroulera en deux parties et selon les thématiques récurrentes que nous avons dégagées de notre filmographie. Dans le premier chapitre, nous regarderons le cinéma francophone en Algérie à travers onze films qui traitent de la guerre d’Algérie, de la guerre civile, du retour aux origines et de la société contemporaine, vu par un jeune cinéaste algérien. Puis, nous examinerons le cinéma francophone d’origine algérienne en France, qui rassemble des cinéastes algériens et des cinéastes issus de la seconde génération de l’immigration. Dans neuf films, nous nous pencherons d’abord sur la vie des familles immigrés dans les années 60 et 70, ensuite sur le cinéma de banlieue et enfin sur des comédies.

1 Notre objectif n’est pourtant pas de développer ici les notions de la ‘transnationalité’ ou de la ‘transculturation’.

Pour cela, nous référons à l’ouvrage de l’anthropologue Fernando Ortiz Fernández, Contrapunteo cubano del tabaco

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6 1 Cadre historique

1.1 La francophonie

Dans cette étude, nous allons étudier le cinéma francophone de l’Algérie, en Algérie et en France. C’est pour cette raison que nous développerons en premier la notion de ‘francophonie’, ce qui permettra de mieux comprendre le contexte dans lequel ce cinéma est né et s’est développé depuis 1962.

Si chaque année le 20 mars – pour la plupart d’entre nous – est un jour normal, pour un grand groupe de locuteurs français, cette journée se déroule sous le signe de la célébration de la francophonie ; en effet, le 20 mars 1970 fut fondée ce qui allait devenir l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) actuelle. D’où vient cette idée de la francophonie, qu’est-ce qu’elle signifie et comment s’est-elle institutionnalisée ? Quel est le rôle de l’OIF aujourd’hui et quels en sont les objectifs ? Et, plus important dans le cadre de notre sujet : quelle est la relation entre l’Algérie et la francophonie ?

1.1.1 L’historique de la francophonie

En 1880, dans son ouvrage France, Algérie et colonies, le géographe français Onésime Reclus (1837-1916) introduisit le terme de ‘francophonie’, par lequel il désignait l’ensemble des territoires et des peuples qui avaient en commun l’usage de la langue française. À cause de l’expansion de la France depuis le 16e

siècle, ces territoires et les locuteurs francophones étaient dispersés partout autour du monde ; du Québec aux Caraïbes, du Maroc à Madagascar et de l’Indochine à la Polynésie. À une époque où l’on classait les gens plutôt selon la couleur de peau et la race, l’idée de Reclus était assez remarquable ; c’était la première fois que la classification se faisait sur la base de la langue parlée. Néanmoins, l’idée n’était pas populaire et disparaissait pendant la période de la colonisation, car il n’était pas évident de penser en termes de ‘langue partagée’ ou même de ‘communauté francophone’ quand cette langue était imposée par le colonisateur2.

Ce n’est que pendant les années 60 que l’idée de la francophonie réapparaît3

. Pendant cette période, la plupart des colonies françaises en Afrique obtiennent leur indépendance et, à part les exceptions de l’Algérie et de la Guinée, qui adoptent une attitude plutôt hostile, les nouveaux

2 SANAKER, J.K. e.a. (2006), La francophonie – une introduction critique, Oslo : Unipub forlag, Oslo Academic

Press, p.12

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7 États-nations cherchent à établir de meilleurs rapports avec la France. Du point de vue économique et politique, il était beaucoup plus intéressant d’entretenir des relations en termes d’échange et de coopération. En plus, ces pays se sont rendu compte d’un héritage important de la colonisation : la langue française. Le français s’avère être une langue véhiculaire excellente parmi – souvent – les dizaines de langues régionales, surtout au niveau administratif et politique4. En même temps, le prestige et l’importance du français font en sorte que les pays africains peuvent participer économiquement et politiquement sur le plan international. La conscience qu’il y avait un espace linguistique partagé a mené à l’idée que la langue française pourrait bien former le cadre dans lequel on pouvait travailler ensemble, en tant que communauté francophone5.

Pour la France, cette coopération à travers la francophonie offrait en plus la possibilité de défendre et de maintenir la position et le prestige du français au niveau international. Après la Seconde Guerre mondiale, l’influence des États-Unis avait énormément grandi et avec elle, celle de l’anglais. Par conséquent, la France a développé un intérêt considérable pour les cultures étrangères d’expression française, car elle aurait désormais besoin des autres pays francophones pour diffuser sa langue. Ce n’est pas par hasard que l’on a constaté la naissance de nouvelles littératures nationales d’expression française dans les années 50 et 60 et ensuite l’émergence d’un nouveau genre d’études – à savoir les études francophones6

.

Par contre, si la langue française lie les pays de la francophonie et forme le cadre pour la coopération, ce ne sont pas seulement sa diffusion ou sa protection qui sont en jeu. À cause de sa présence un peu partout dans le monde, elle a intégré aussi d’autres cultures et même d’autres langues. Cette idée ressort clairement des diverses contributions au numéro spécial de la revue

Esprit, intitulé ‘Le français, langue vivante’, en 1962. Léopold Sédar Senghor, président du

Sénégal à l’époque et un des pères fondateurs de la francophonie, y écrit :

La Francophonie, c’est cet Humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des ‘énergies dormantes’ de tous les continents, de toutes les races, qui se réveillent à leur chaleur complémentaire. […] Renversons les propositions pour être complets : la Négritude, l’Arabisme, c’est aussi vous, Français de l’Hexagone. Nos

4 L’enseignement du français étant en général réservé à l’élite, c’est ce groupe qui en profite le plus. La plupart des

pays africains sont devenus officiellement bilingues ; le français et une langue africaine majoritaire coexistent.

5 Site de l’OIF, http://www.francophonie.org/Une-histoire-de-la-Francophonie.html, consulté le 9 janvier 2011 6

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8

valeurs font battre, maintenant, les livres que vous lisez, la langue que vous parlez : le français, Soleil qui brille hors de l’Hexagone.7

De même, François Mitterrand déclara en 1989, que « ce n’est pas la langue française qui fait la

francophonie, mais sa coexistence avec les 2000 langues de l’espace francophone. »8

. Il fallait travailler ensemble en français pour défendre la langue française mais aussi les langues et les cultures différentes des pays francophones ; l’unité afin de proclamer la diversité, aussi paradoxal cela puisse-t-il paraître.

À partir des années 60, on voit donc naître plusieurs associations et organisations internationales francophones, d’abord non-gouvernementales. Les journalistes, les universités, les radios publiques, les écrivains ; des secteurs divers commencent à se regrouper. Le 20 mars 1970 – aujourd’hui la journée internationale de la Francophonie – fut fondée l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), le précurseur de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Cette première organisation intergouvernementale regroupait, au début, 21 États et a tenu des sommets biannuels à partir de 1986. Aujourd’hui, l’OIF regroupe 75 pays – dont 19 pays observateurs qui ne sont pas francophones – et fonctionne sous la direction d’un secrétaire-général, actuellement l’ancien président sénégalais Abdou Diouf.

Tous les deux ans, les chefs d’État ou de gouvernement se réunissent au Sommet pour conclure des accords sur des sujets concernant quatre grandes missions, à savoir la promotion de la langue française et de la diversité culturelle et linguistique ; la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’Homme ; l’appui de l’éducation et de la formation ; la promotion du développement durable9. Pour exécuter sa politique, l’OIF dispose d’ailleurs de quatre opérateurs directs ; l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) fondée en 1961, l’Association internationale des maires francophones (AIMF, 1979), la chaîne TV5 depuis 1984 et l’Université Senghor fondée en 1990 à Alexandrie. En plus, dans divers domaines, l’OIF monte et finance des projets, dispose de fonds de soutien et est partenaire dans des événements partout dans le monde. Pour le cinéma et la télévision par exemple, elle a monté le Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud en 1988, offre du soutien pendant toutes les étapes de la réalisation et est partenaire de plusieurs festivals de film, non seulement francophones10.

En plus de 40 ans, la francophonie – sous forme de l’OIF – s’est donc énormément organi-sée et politiorgani-sée. Par conséquent, son rôle sur la scène internationale a grandi considérablement.

7 SÉDAR SENGHOR, L. (1962), cité dans SANAKER (2006), p.13 8 Cité dans SANAKER (2006), p.16

9 Site de l’OIF, http://www.francophonie.org/Qui-sommes-nous.html, consulté le 7 mars 2011 10

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9 Depuis quelques années, l’OIF a plusieurs sièges permanents – en tant qu’observateur –, entre autres auprès de l’Union européenne à Bruxelles et de l’ONU à New York et à Genève. En plus, elle assiste et contribue régulièrement à diverses conventions et à des sommets internationaux, comme par exemple la conférence mondiale de l’ONU à Cancún sur les changements climatiques, en décembre 2010.

À cause de cette coopération politique, la définition du mot ‘francophonie’ a reçu une nouvelle dimension. Ainsi, on fait aujourd’hui la distinction entre la Francophonie avec un grand F et la francophonie avec une minuscule. Par la première, on désigne « le regroupement des

gouvernements, des pays ou des instances officielles qui ont en commun l’usage du français dans leurs travaux ou leurs échanges »11 et la deuxième – pourtant difficile à définir – réfère à l’ensemble des locuteurs du français12

. La définition du mot ‘francophone’ est par conséquent ambiguë puisque ce mot renvoie à deux concepts différents. Et à cela s’ajoute encore une troisième définition : ‘d’expression française, du dehors de la France’. C’est dire que le cinéma français et le cinéma francophone ne sont pas pareils, même s’ils s’expriment en langue française. De même, dans des cours sur la littérature francophone, on fera peut-être la connaissance d’auteurs tels qu’Aimé Césaire ou Maïssa Bey, mais on ne lira pas les romans de Victor Hugo ou de Frédéric Beigbeder, qui sont classés dans la littérature française.

1.1.2 L’Algérie et la francophonie

Bien que les estimations du nombre de francophones en Algérie varient – de 11,2 millions13 à presque 22 millions14 sur une population totale de 36,3 millions d’habitants15 –, le pays reste le deuxième pays du monde, après la France, ayant la plus grande communauté de locuteurs français. Cependant, l’Algérie – contrairement au Maroc et à la Tunisie – ne fait toujours pas partie de l’OIF et a refusé, à plusieurs reprises, les invitations pour y adhérer.

Gilbert Grandguillaume, spécialiste du Maghreb et du Moyen Orient, a essayé d’expliquer l’attitude des adversaires de la francophonie au Maghreb en général : selon lui, la langue française – et tout ce qu’elle représente – est considérée comme une intruse dans les trois pays arabes. Il résume les arguments en trois points essentiels : d’abord, la langue arabe serait

11 TÉTU, M., cité dans SANAKER (2006), p.8 12 SANAKER (2006), p.7

13

En 2008, selon les chiffres de l’Office National des Statistiques (ONS). Source : La langue française dans le

monde – 2010. Synthèse. Publication de l’OIF, http://www.francophonie.org/IMG/pdf/Synthese-Langue-Francaise-2010.pdf, p.5

14 Sur divers sites internet, sans mention de la source. 15

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10 menacée par le français dans son épanouissement et son adaptation à la modernité. Grandguillaume compare cette attitude à celle des Français par rapport à l’anglais, c’est-à-dire hostile, puisque la montée de l’anglais – en France et dans le monde entier – est perçue comme une menace pour la langue française. Deuxièmement, le français représenterait une culture occidentale et introduirait ainsi un mode de vie et des mœurs qui sont complètement différents de ceux du monde arabe. En dernier, la langue française constituerait, par son rôle politique, une menace pour la solidarité arabe dans des questions telles que celles de la Palestine ou de l’Iraq16.

Pour l’Algérie en particulier, le refus de la francophonie s’explique par la colonisation française et par la façon dont elle a pris fin. Pendant plus de 130 ans, les Français ont imposé leur langue, leurs coutumes, leur système éducatif, leur histoire – bref leur culture – et ce n’était qu’après plus de sept ans de guerre sanglante que les Algériens ont obtenu leur indépendance en 1962. La déculturation de la société algérienne fut tellement profonde, qu’il n’est guère étonnant que l’Algérie ait adopté une attitude hostile envers la France, que les rapports franco-algériens soient toujours tendus et que l’on considère la Francophonie comme un projet néocolonialiste de la part de la France17. Les premières décennies après l’indépendance se caractérisent par un rejet radical de tout ce qui rappelle l’ancien colonisateur et par la recherche et le renforcement d’une identité nationale, liée à la culture arabe18. Dans ce processus d’arabisation, l’arabe écrit – langue du Coran – fut proclamé seule langue officielle et l’islam religion d’État. L’enseignement, jusqu’en 1962 en français, sera désormais proposé en arabe.

Depuis la venue au pouvoir du président Abdelaziz Bouteflika en 1999 (réélu en 2004 et en 2009), on a constaté pourtant que les relations s’améliorent lentement et que l’attitude envers la langue française et l’OIF est plus favorable19. En 2000, la Commission Nationale de Réforme du Système Éducatif (CNRSE) a commencé à faire des recherches sur la réintroduction du français dans l’enseignement et sur la restauration du bilinguisme. Deux années plus tard, en 2002, le président algérien est, pour la première fois, présent au Sommet de la francophonie à Beyrouth.

Malgré ces premiers signes positifs, la situation n’a changé que très lentement depuis. L’implémentation des recommandations de la CNRSE ne se poursuit que prudemment, à cause des multiples obstacles. Un grand problème est par exemple le manque d’enseignants de français et de matériaux, causé par le bannissement radical du français après l’indépendance. De plus, l’Algérie vient de sortir d’une terrible guerre civile (1991-2002), qui a déchiré et traumatisé le

16 GRANDGUILLAUME, G. (2008), « La francophonie vue du monde arabe et du Maghreb », dans HOLTER K. &

SKATTUM, I. (2008), La francophonie aujourd’hui : Réflexions critiques, Paris : L’Harmattan, p.50

17 SANAKER (2006), p.129

18 BÉLAÏCHOUCHE, M. (2008), « Une possible adhésion de l’Algérie à l’OIF ? », dans Regard critique, numéro

spécial sur La Francophonie, vol.3, no.2, p.4.

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11 peuple algérien et opposé le gouvernement aux divers groupes islamistes. Aujourd’hui encore, il y a une forte tension entre plusieurs groupes socioculturels – entre autres francophones versus arabophones, parmi lesquels les islamistes – et le gouvernement est obligé de tenir compte des ‘arabisants’ qui s’opposent vivement aux réformes de l’éducation20

. En dernier, la loi mémorielle du 23 février 2005 – ‘portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés’ – a soulevé de vives protestations en France et surtout en Algérie pour avoir falsifié l’histoire coloniale. Cela montre à quel point la guerre est toujours un sujet sensible et que le travail de mémoire est toujours en cours. Par conséquent, l’adhésion à l’OIF reste un sujet très sensible.

1.2 Le cinéma francophone

Quand on parle du cinéma francophone – cinéma d’expression française hors de la France –, il est impossible de ne pas faire de distinctions ; les différences historiques, économiques et culturelles entre les pays francophones sont trop grandes et le seul élément qu’ont en commun les cinémas en question, est de s’exprimer en langue française.

1.2.1 Distinctions nécessaires

Une première distinction oppose les cinémas de l’Amérique du Nord et de l’Europe (le Nord) et ceux de l’Afrique (le Sud). Dans le premier cas, il s’agit surtout du cinéma des provinces canadiennes du Québec et du Nouveau Brunswick et des pays voisins de la France, notamment la Belgique, le Luxembourg et la Suisse. Le cinéma francophone de l’Afrique regroupe les anciennes colonies françaises du Maghreb et de l’Afrique de l’Ouest et centrale, c’est-à dire subsaharienne.

Une des grandes différences entre le cinéma francophone ‘du Nord’ et celui ‘du Sud’ repose sur le développement économique des pays concernés. Le financement reste toujours un grand problème dans les pays africains, ce qui a des conséquences considérables pour la production et la diffusion. Si un cinéaste réussit à trouver les bailleurs de fonds pour monter son projet et à réaliser son film, il est ensuite confronté au problème de la diffusion. Les films africains – et non seulement les films francophones – ont en général du mal à trouver le grand public international et même dans leurs pays, ils souffrent beaucoup de la concurrence du cinéma étranger,

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12 notamment européen et hollywoodien. Heureusement, les initiatives des organisations, telles que l’OIF ou l’UNESCO, et les festivals pour promouvoir le cinéma africain sont de plus en plus nombreux. En 1966 est né le festival panafricain et panarabe des Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) et en 1969 le festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO). De même, le cinéma francophone de l’Afrique est promu sur la scène internationale par les nombreux festivals francophones, organisés chaque année et partout autour du monde : Namur, Acadie et Angoulême en sont les exemples les plus connus, mais il y a aussi des festivals en Grèce, en Islande ou en Chine.

Deuxièmement, le développement des cinémas nationaux des pays africains – contrairement à celui des pays occidentaux du Nord – est lié à un passé colonial. Cela veut dire d’abord que, dans la plupart des cas, les premiers longs métrages ont été réalisés dans les années 60, après la vague des indépendances sur le continent africain. Mais on constate en plus que ces films abordent souvent les mêmes thématiques :

celles des mutations des sociétés postcoloniales aux indépendances politiques récentes : les conflits tradition-modernité, les problèmes liés à l’exode rural, la dénonciation de la condition injuste de la femme, la recherche d’une identité moins déchirée via le retour à la spiritualité des anciens, la critique directe ou indirecte des nouveaux pouvoirs, etc.21.

L’indépendance elle-même est aussi une grande source d’inspiration ; surtout en Algérie, où la lutte a été la plus dure, il existait un vrai ‘cinéma de guerre’ pendant une dizaine d’années.

Une deuxième distinction dans le cinéma francophone se fait sur le continent africain même : le cinéma francophone du Sud est souvent réparti en un cinéma maghrébin et un cinéma d’Afrique noire, c’est-à dire du sud du Sahara. Du point de vue historique cela s’explique par l’opposition arabe–africain : le Maroc, l’Algérie et la Tunisie faisant partie du monde arabe, ils ont, par conséquent, un passé culturel différent. En plus, contrairement au cinéma de l’Afrique noire, plus ou moins parti de zéro, le cinéma maghrébin, déjà pendant la période française, a connu le cinéma commercial égyptien, qui domine le monde arabe depuis les années 30. Ce cinéma d’évasion ou de divertissement, basé sur les genres hollywoodiens, n’a pas attiré les

21 TEBIB, E. (2002), « Panorama des cinémas maghrébins », dans Notre Librairie. Revue des littératures du Sud,

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13 réalisateurs maghrébins, qui, occupés par la recherche d’une identité et d’une voix propre, ont voulu créer un nouveau ‘cinéma d’expression’22.

En dehors des cinémas francophones du Nord et du Sud, il ne faut pourtant pas oublier les plus petites industries cinématographiques nationales qui produisent quelquefois des films en langue française. Dans les pays francophones des Caraïbes, de l’Océan Indien et du Pacifique on réalise – rarement, c’est vrai – des longs métrages d’expression française. Il s’agit pourtant surtout de coproductions, comme Lumumba, Retour au Congo (2000) ou Moloch Tropical (2009) du cinéaste haïtien Raoul Peck ou bien Bénarès (2005) du Mauricien Barlen Pyamootoo. Confronté aux mêmes problèmes financiers, ces pays produisent surtout des courts ou moyens métrages ou des documentaires, francophones ou non-francophones.

1.2.2 Les cinémas maghrébins

On est tenté d’utiliser le terme ‘cinéma maghrébin’ au singulier – tout comme le cinéma francophone –, comme s’il s’agit d’une unité avec quelques caractéristiques particulières qui le distinguent des autres cinémas, eux aussi considérés comme des unités homogènes. En effet, dans une certaine mesure, il est correct de parler d’un cinéma maghrébin. Mais si les trois pays – le Maroc, l’Algérie et la Tunisie – ont beaucoup de points en commun, ils se sont quand même développés de manière différente, surtout à cause de la situation politique et le rôle qu’a joué l’État. C’est pour cela que les spécialistes parlent plutôt des cinémas maghrébins, au pluriel. Regardons pourtant d’abord quelques points communs – autres que celui des thématiques abordées dans les films, déjà mentionnées –, avant de regarder de plus près le cinéma algérien.

Bien qu’au Maghreb, les cinémas dits nationaux soient évidemment nés après que les pays ont acquis leur indépendance – le Maroc et la Tunisie en 1956, l’Algérie quelques années plus tard, en 1962 –, il faut d’abord constater qu’on y a produit des films bien avant, puisque l’invention du cinématographe par les frères Lumière date de 1895. Selon une étude de Pierre Boulanger, on compte 210 longs métrages tournés au Maghreb pendant la période 1911-196223. Dans la plupart des cas, il s’agit pourtant de films réalisés par des cinéastes étrangers, avec un capital étranger, présentant des acteurs étrangers. Souvent filmés par des colons, ils expriment une vision colonisatrice sur la vie quotidienne au Maghreb. Les indigènes y jouent des personnages méchants ou inférieurs, ou bien ils en sont presque absents ; c’est-à-dire que leurs rôles sont interprétés par des acteurs européens. Un des films coloniaux les plus connus, Pépé le

22 TEBIB (2002), p.56

23 ARMES, R. (2006), Les cinémas du Maghreb. Images postcoloniales, Paris : L’Harmattan, p.15. L’ouvrage en

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Moko, réalisé par Julien Duvivier en 1937, raconte l’histoire de Pépé – rôle tenu par Jean

Gabin –, qui se cache dans la casbah lorsqu’il est poursuivi par l’inspecteur algérien Slimane, interprété par le Français Lucas Gridoux. Selon David Henry Slavin, dans son étude sur le cinéma colonial français de 1919 à 1939, « aucun ‘indigène’ n’habite la Casbah de Duvivier »24.

Il y avait néanmoins quelques cinéastes maghrébins qui ont produit des films avant l’indépendance. Au Maroc, Mohamed Osfour, Ahmed Mesnaoui et Brahim Sayah ont produit ensemble une vingtaine de courts métrages avant 195625. Le Tunisien Albert Samama-Chikli – qui a filmé à Verdun pour les Français pendant la Première Guerre mondiale – a réalisé le premier court métrage tunisien Zohra (1922) et le premier long métrage Ain el-Ghezal ou la Fille

de Carthage (1924). En Algérie, on pourrait dire que le cinéma national est né pendant la guerre

d’indépendance : considérant le cinéma comme une arme importante dans leur lutte, les membres du Front de libération nationale (FLN) – des Français aussi bien que des Algériens – ont produit une petite cinquantaine de films26. Le court métrage Algérie en Flammes (1959) du Français René Vautier et le moyen métrage Les Fusils de la Liberté (1961) de Djamel Chanderli et de Mohammed Lakhdar-Hamina – pionnier du cinéma algérien – en sont des exemples importants.

Deuxièmement, les pays maghrébins – surtout et d’abord la Tunisie – ont en commun une histoire riche et abondante de cinéphilie et de ciné-clubs, c’est-à-dire des clubs d’amateurs de cinéma27. C’est de ce milieu que sont provenus la plupart des nouveaux cinéastes maghrébins qui vont marquer les cinémas nationaux, comme par exemple le Tunisien Omar Khlifi, le Marocain Mohamed Abderrahmane Tazi et l’Algérien Merzak Allouache. Aujourd’hui encore, la Fédération marocaine des Ciné-clubs (FMCC) et ses équivalents en Tunisie (FTCC) et en Algérie (FACC) jouent un rôle important dans la promotion du cinéma national, même si elles ont vu une baisse du nombre de ciné-clubs ces dernières années.

Une autre ressemblance importante est l’émergence du cinéma ‘beur’ en France dans les années 80. Les cinéastes maghrébins de la 2e génération d’immigrés dite ‘beur’ commencent à faire carrière et après la sortie de deux films remarquables, réalisés en 1985 – à savoir Le Thé au

Harem d’Archimède de Mehdi Charef et Bâton Rouge de Rachid Bouchareb –, les critiques

parlent de la naissance d’un nouveau phénomène. Dans le paragraphe suivant, nous l’aborderons de manière plus approfondie.

24

SLAVIN, D.H. (2001), cité dans ARMES (2006), p.14

25 EL KHODARI, K. (2004), « La génération des pionniers : l’exemple du cinéma marocain », dans SERCEAU, M.

(2004), Cinémas du Maghreb, Condé-sur-Noireau : Corlet-Télérama, p.31

26 BRAHIMI, D. (1997), Cinémas d’Afrique francophone et du Maghreb, Paris : Nathan, p.21 27

(15)

15 Dernièrement, on peut constater que les cinéastes au Maroc, en Algérie et en Tunisie sont aujourd’hui confrontés aux mêmes difficultés qui, à leur tour, s’expliquent tous par le problème de financement. Dans les pays africains, l’industrie cinématographique dépend en grande partie des aides privées et publiques – de l’étranger et du propre pays – et de la volonté de l’État ; au moyen d’un organisme central et des subventions, celui-ci peut soutenir un cinéma fragile ou – plus souvent – presque inexistant. Nous aborderons la situation algérienne dans le paragraphe 1.3.

Au Maroc existe toujours le Centre Cinématographique Marocain (CCM), fondé en 1944 par les autorités françaises et devenu une organisation non-gouvernementale en 1956. En plus, dans les années 90, le gouvernement marocain a pris de nouvelles mesures : le système de financement mis en place est basé sur un pourcentage des recettes publicitaires, réservé pour le cinéma marocain, qui est devenu le cinéma le plus avancé du Maghreb, du point de vue économique28. Par contre, le nombre de salles de cinéma en activité est en baisse continuelle depuis des années : si le Maroc a disposé de 350 salles en 1956, ce nombre avait baissé jusqu’à 260 en 1986, à 124 en 2006 et aujourd’hui, seulement 45 salles sont encore en activité29. C’est pourquoi, depuis 2007, l’association Save Cinemas in Marocco se bat pour la préservation et le financement des salles.

En Tunisie, la situation est peut-être encore plus alarmante, puisqu’il n’y existe aucun organisme central. Le financement des longs métrages est un grand problème et, tout comme au Maroc, le nombre de salles a baissé énormément : de 150 salles à l’indépendance, à 82 en 1987 et à 17 en 200630. Pour essayer de relancer le cinéma tunisien, le Ministre de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine a installé une commission en 2009 – sous la direction du fameux cinéaste Férid Boughedir – pour étudier les manières dont on pourrait arriver à cette fin. En plus, depuis avril 2009, le Collectif Indépendant d’Action pour le Cinéma en Tunisie (CIAC) s’est mêlé à l’affaire, en proposant sur Internet des idées alternatives pour restructurer et financer l’industrie cinématographique. Après la Révolution de jasmin de cette année, il sera intéressant de voir si et comment se développera le 7ème art en Tunisie.

28

TEBIB (2002), p.59

29 Selon les chiffres officiels du CCM, http://www.ccm.ma/inter/phactualite/salles01032011.pdf, consulté le 12 mars

2011

30http://www.cinematunisien.com/index.php?option=com_content&task=view&id=244&Itemid=48, consulté le 18

(16)

16

1.2.3 Le cinéma ‘beur’

Dans la période entre 1954 et 1974, la France connaît une hausse importante du nombre d’immigrants, attirés par le gouvernement français et venus afin de répondre à la demande croissante d’ouvriers non qualifiés. Ces immigrants sont, majoritairement, originaires du Maghreb et en particulier de l’Algérie. En 1974, la France décide de mettre fin à cette politique d’immigration et d’encourager le regroupement familial, ce qui a pour conséquence l’installation d’une vraie communauté maghrébine et la naissance d’une deuxième génération élevée en France. A partir des années 80, ces enfants sont nommés ‘beurs’ en verlan, dérivé du mot ‘arabe’ (a-ra-beu > beu-ra-a > beur)31.

Cependant, si leurs parents sont venus en France pendant une période de croissance économique, cette deuxième génération grandit dans les années 70 et 80, marquées par une situation économique désavantageuse, causée par les chocs pétroliers des années 70. Le processus d’intégration sociale, déjà difficile dans une ambiance de racisme et de méfiance, est compliqué par le chômage de masse qui frappe la France, et en particulier les Maghrébins, frappés doublement par un niveau d’éducation moins élevé et par des pratiques discriminatoires de la part des employeurs32. Les banlieues, les zones urbanisées autour d’une ville où s’installe la plupart des immigrants dans les HLM, reçoivent une connotation négative ; ce sont les quartiers où règnent la criminalité, la violence, le chômage et la méfiance.

C’est dans ces circonstances que les jeunes ‘beurs’ et ‘beurettes’ grandissent et que certains réussissent à se faire une carrière au début des années 80 : parmi eux se rencontrent des auteurs, des chanteurs, des acteurs, des footballeurs, des réalisateurs… Ainsi, dans les journaux et ouvrages scientifiques, on ne tarde pas à parler de la littérature, des chansons ou du cinéma ‘beur’, désignations souvent contestées par les auteurs eux-mêmes, qui s’opposent à la marginalisation et à l’exclusion par rapport à la culture française33. Le terme ‘cinéma beur’ apparaît pour la première fois dans le Cinématographe, après la sortie de deux longs métrages remarquables en 1985, à savoir Le Thé au Harem d’Archimède de Mehdi Charef et Bâton Rouge de Rachid Bouchareb34. Selon Christian Bosséno, un ‘film beur’ est « tout film, réalisé par un

31 MURRAY LEVINE, A.J. (2008), « Mapping Beur Cinema in the New Millennium », dans Journal of film and

video, vol.60 (2008), no.3-4, p.44

32 TARR, C. (2005), Reframing difference: ‘beur’ and ‘banlieue’ filmmaking in France, Manchester : Manchester

University Press, p.6

33 HARGREAVES A.G. & GUINOUNE, A.M., dossier coordonné par (2008), Au-delà de la littérature

‘beur’ ? Nouveaux écrits, nouvelles approches critiques, Paris : CICLIM, p.2

34 TARR, (2005), p. 2. La revue en question est un numéro spécial du Cinématographe (paru dans la période

(17)

17

jeune cinéaste d’origine maghrébine qui est né ou qui a grandi en France, et souvent présentant des caractères ‘beurs’ »35.

Tout comme leurs collègues-auteurs, les cinéastes beur abordent les thématiques liées aux conditions et aux problèmes sociaux de leur génération – la vie dans la banlieue – et le racisme, l’intégration, l’identité, la religion, le chômage et la marginalisation. Dans Hexagone (1993), Malik Chibane présente cinq jeunes Arabes qui essaient de se construire une vie à Goussainville, au nord de Paris. L’Esquive (2003) du Tunisien Abdellatif Kechiche – venu en France à l’âge de six ans – met en scène Abdelkrim, ou Krimo, dans la banlieue parisienne, qui tombe amoureux de Lydia, une fille française. Autres thématiques souvent abordées sont les récits de vie de leurs parents immigrés – comme dans Vivre au Paradis (1998) de Bourlem Guerdjou ou Inch’Allah

Dimanche (2001) de Yamina Benguigui –, la recherche de leurs origines – Exils (2004) de Tony

Gatlif –, ou le ‘choc culturel’ en Algérie après avoir vécu tant d’années en France, comme dans

Cheb (1990) de Rachid Bouchareb ou Bled Number One (2006) de Rabah Ameur-Zaïmeche.

Dès 1995, une grande partie des films beur sont considérés comme faisant partie d’un nouveau genre ; le cinéma de banlieue. C’est en cette année que les salles de cinéma sont pleines pour les projections de La Haine du réalisateur français Mathieu Kassovitz. Ce sera un grand succès, ce film suit trois amis – un trio ‘black-blanc-beur’ – dans la banlieue de Paris pendant les 24 heures après la blessure de leur ami. Comme le démontre le film de Kassovitz, les thématiques abordées par les cinéastes beur ne leur sont pas réservées : comme La Haine, beaucoup d’autres films de réalisateurs non-beur racontent la vie dans la banlieue, les problèmes de l’intégration, etc. Parmi eux se trouvent Jean-François Richet (Ma 6-T va Crack-er, 1997) Bertrand Tavernier (De l’autre Côté du Périph’, 1997) et Gaël Morel (À Toute Vitesse, 1997)36.

Aujourd’hui, on constate que les cinéastes beur se sont de plus en plus intégrés dans le cinéma français, en abordant des thématiques moins spécifiques pour ‘la culture beur’, comme nous le verrons dans le chapitre 3.

35 BOSSÉNO, C. (1992), cité dans TARR, C. (1993), « Questions of identity in Beur cinema: from Tea in the Harem

to Cheb », dans Screen, vol. 34, no. 4, (1993), p.321-342, p.326. Citation traduite de l’anglais.

36 Dans son étude sur le cinéma beur et cinéma de banlieue, Carrie Tarr (2005) a ajouté une filmographie sur la

(18)

18 1.3 Le cinéma algérien

1.3.1 Les années 1962 – 1989 : à la recherche d’une identité

Si les industries cinématographiques du Maroc et de la Tunisie ont, depuis leur naissance, été une affaire quasiment privée, le développement du cinéma en Algérie a toujours été intimement lié à l’évolution et à la volonté politiques, et par conséquent marqué par des hauts et des bas37.

Après l’indépendance en 1962, l’État algérien s’est vite rendu compte du fait que le cinéma est un excellent moyen pour exprimer une identité et culture nationales et n’a pas tardé à mettre en place des organismes cinématographiques, renforçant ainsi son contrôle sur une industrie en plein développement. Les 432 salles de cinéma furent nationalisées – jusqu’en 1967 – et plusieurs institutions fondées : la Cinémathèque algérienne (1964), l’Office National du Commerce et de l’Industrie Cinématographiques (ONCIC, 1967) et le Centre de Diffusion Cinématographique (CDC, 1968) sont celles qui ont survécu le plus longtemps. Par la création de l’ONCIC, les cinéastes devenaient des employés de l’État, ce qui les assurait d’un salaire mensuel d’une part mais d’une censure et d’un contrôle assez stricts de l’autre38

. En plus, le Fonds de développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographiques (FDATIC), créé en 1968, n’attribua des budgets qu’aux projets qui furent considérés comme corrects dans l’intérêt national. En effet, quand on observe la production des longs métrages des années 60 et 70 – beaucoup plus grande qu’au Maroc et en Tunisie, où l’on a surtout réalisé des courts métrages –, on constate que les thèmes récurrents sont la lutte pour l’indépendance et la célébration du nouvel État. Ahmed Rachedi et Mohammed Lakhdar-Hamina ont ainsi réalisé leurs premiers films L’Aube des Damnées (documentaire, 1965) et Le Vent des Aurès (1966), tous les deux en arabe.

La seule société de production indépendante pendant cette période est ‘Casbah Films’ (1962-1967), qui fait surtout des coproductions, financées par l’étranger39. Le film le plus connu fut La Bataille d’Alger de l’Italien Gillo Pontecorvo en 1966, un des premiers films réalisés par un cinéaste européen qui aborde la lutte anticoloniale contre les pouvoirs européens. En France,

La Bataille d’Alger, qui dénonce les méthodes de torture et la politique pratiquées par les

Français en Algérie et se montre sympathisante du FLN, fut très mal reçue et en première instance interdite.

37 BENZIANE, A. (2001), « Le cinéma algérien : de l’Etat tutélaire à l’état de moribond », dans La pensée de midi,

2001/1, no.4, p.85

38 ARMES (2006), p.24 39

(19)

19 La décennie suivante constitue une période de consolidation du cinéma algérien. Le premier grand succès fut remporté par Mohammed Lakhdar-Hamina : Chroniques des Années de Braise (1975), le premier film africain et arabe qui a remporté la Palme d’or au Festival de Cannes.

Omar Gatlato (1977) de Merzak Allouache est considéré comme le premier film qui aborde

d’autres thèmes que ceux présents jusque-là ; d’une manière légère et humoristique, Allouache montre la vie quotidienne de la jeunesse algérienne.

Pendant cette période, on constate plusieurs nouveautés : d’abord, au thème omniprésent de la guerre s’ajoute le thème de la révolution agraire, inaugurée par le gouvernement contre la rapide industrialisation et l’urbanisation du pays40. Le Charbonnier (1972) de Mohamed Bouamari et Noua (1973) d’Abdellaziz Tolbi en sont les exemples les plus importants. Deuxièmement, la première cinéaste arrive sur la scène cinématographique algérienne : la romancière Assia Djebar réalise La Nouba des Femmes du Mont Chenoua en 1978 et La Zerda

ou les Chants de l’Oubli en 1982. Comme Sid Ali Mazif dans Leïla et les Autres (1978), Djebar

aborde la condition de la femme, en dénonçant entre autres le mariage arrangé ou forcé. En même temps, de l’autre côté de la Méditerranée, le cinéma de l’immigration s’établit. Les Algériens émigrés déjà avant ou après l’indépendance, tels que Mohamed Benayat et Ali Ghalem, se sont installés en Europe – notamment en France et en Belgique – et commencent à faire carrière. Dans leurs films, ils abordent surtout des questions sociales et les problèmes d’intégration vécus par les immigrants maghrébins.

Dans les années 80, marquées par le début d’une crise financière, les structures cinématographiques subissent de grands changements : l’ONCIC est dissoute en 1984 et un nouvel organisme est mis en place – le Centre Algérien pour l’Art et l’Industrie Cinémato-graphique (CAAIC) en 1987 –, mais il n’est plus question du monopole étatique comme auparavant, ce qui donne aux cinéastes un peu plus de liberté pour monter leurs propres projets. Beaucoup d’entre eux sont pourtant partis à l’étranger : en France, libéré de la censure algérienne, Mahmoud Zemmouri réalise les comédies Prends 10 000 Balles et Casse-toi (1981) et Les Folles Années du Twist (1986), Abdelkrim Bahloul produit Le Thé à la Menthe (1984) et

Les Sœurs Hamlet (1986) – aussi des comédies –, et Merzak Allouache présente Un Amour à Paris (1983), une comédie dramatique. Leurs productions sortent dans la même période que les

premiers longs métrages des cinéastes beur, comme Mehdi Charef, Malik Chibane et Rachid Bouchareb.

40 THORAVAL, Y. (1982), « Situation du cinéma algérien ou regards sur le cinéma algérien », dans Le mois en

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20 Selon plusieurs études concernant le cinéma algérien, le nombre de longs métrages pendant la période 1962-1989 s’élève à 91 films, dont 15 ont été réalisés en France41. Ces études ne font pourtant pas la distinction entre les films en langue arabe, française ou même – mais plutôt depuis les années 90 – amazigh ou berbère. Par une recherche intensive pour des informations concernant tous les longs métrages, nous avons essayé de déterminer le nombre de films francophones algériens. Entre 1962 et 1989, 28 films ont été réalisés en français. Les 15 films produits en France sont tous de langue française, ce qui veut dire que seulement 13 films ont été faits en français en Algérie sur une période de 27 ans. Ce n’est en fait pas tellement étonnant, si on prend en compte le contrôle de l’État algérien sur l’industrie cinématographique et la politique d’arabisation menée depuis 1962.

1.3.2 Les années 1990 – 2010 : un cinéma en crise ?

Si les premiers signes d’un déclin se sont déjà annoncés à la fin des années 80, les événements des années 90 furent une vraie catastrophe pour le cinéma algérien, dont la production – sans compter les films réalisés à l’étranger – baisse vite et devient même inférieure à celles du Maroc et de la Tunisie42. La libéralisation du système depuis 1991, suivie par la privatisation totale de la production en octobre 1993 et encore par la dissolution en 1998 du CAAIC – sans aucun organisme remplaçant – avaient un impact désastreux sur l’industrie cinématographique.

En même temps, la montée de l’islamisme depuis les années 80 s’est traduite en une terrible guerre civile qui a éclaté en décembre 1991 et a duré jusqu’en février 2002. Pendant cette ‘décennie noire’, les menaces, les attentats, les assassinats et les enlèvements ou disparitions étaient à l’ordre du jour. Sous la menace des intégristes43

, beaucoup de salles de cinéma ont été fermées et des cinéastes ont arrêté leur travail. La crise politique était encore doublée par une crise financière dans laquelle l’Algérie se trouvait depuis le milieu des années 80 ; pour diminuer la dette extérieure, l’État – sous la pression des institutions financières internationales – a dû économiser énormément44. Les cinéastes qui persistent et continuent leur travail en Algérie – beaucoup d’entre eux sont partis –, se trouvent confrontés à d’énormes difficultés financières et à des problèmes de sécurité pendant leurs tournages.

Si on compte néanmoins 82 longs métrages pendant la période 1990-1999, c’est parce que la plupart est produite à l’étranger et fait partie du cinéma ‘en exil’ ou du cinéma beur. Des 25 films

41

Basé sur TARR (2005), ARMES (2006) et diverses sources sur Internet.

42 ARMES (2006), p.59

43 Pour désigner les musulmans fondamentalistes, on parle des ‘islamistes’, mais aussi des ‘intégristes’, des

‘extrémistes’ ou des ‘barbus’.

44

(21)

21 produits en Algérie même, seulement 8 sont de langue française45. Il en va de même pour les nombreux prix remportés : Cheb (1991), Au Pays des Juliets (1992), Douce France (1995), Salut

Cousin ! (1996), Sous les Pieds des Femmes (1997) et encore d’autres – récompensés aux

festivals tels que Cannes, Namur, Carthage ou Ouagadougou – sont réalisés par des cinéastes travaillant en France. Les exceptions sont les longs métrages Machaho (1995, berbérophone) par Belkacem Hadjadj et L’Arche du Désert (1997, arabophone) de Mohamed Chouikh, qui ont tous les deux remporté des prix au FESPACO et au Festival International de Films de Fribourg (FIFF).

Machaho est un des premiers films qui a annoncé un nouveau phénomène dans les années

90, à savoir le cinéma amazigh ou de langue berbère. Suivent La Colline Oubliée (1996) d’Abderrahmane Bouguermouh et La Montagne de Baya (1997) d’Azzedine Meddour, qui montrent les traditions berbères et les difficultés d’un peuple marginalisé. La fondation du Festival culturel national annuel du film amazigh (FCNAFA) en 1999 et la proclamation de la langue berbère comme langue nationale en avril 2002 ont contribué fortement à la promotion d’une culture qui a longtemps été ignorée. Le nombre de longs métrages est bas, mais les documentaires et les courts métrages sortent les uns après les autres.

Affaibli énormément par les années 90, le cinéma algérien du nouveau millénaire n’a pas le temps de se récupérer et se trouve confronté au même problème que ses voisins ; celui du financement, pesant sur les divers domaines qui sont impliqués ; par exemple, la formation des réalisateurs, la production, la distribution, la réglementation, la promotion et la construction, l’entretien des studios ou des salles de cinéma. Le problème du financement est d’ailleurs aggravé par plusieurs facteurs qui sont tous liés les uns aux autres.

L’Algérie souffre d’abord d’une baisse extraordinaire de salles : aujourd’hui, il ne reste qu’une dizaine de salles, contre les 432 il y a 50 ans46

. Nationalisées en 1964 et placées sous la tutelle du Centre national du cinéma algérien (CNCA), elles sont passées entre les mains de diverses institutions – les collectivités locales ou des particuliers – après la dissolution du CNCA en 1967. Depuis, leur nombre et leur état s’est dégradé rapidement, surtout pendant les années 90. Par conséquent, les recettes des projections diminuent, aggravant encore les problèmes financiers. La plupart des films montrés sont d’ailleurs de l’étranger car – et ceci constitue le deuxième facteur – comme partout dans le monde, les productions américaines envahissent les écrans des cinémas et des télévisions. Les prouesses technologiques attirent beaucoup plus de

45 Basé sur TARR (2005), ARMES (2006) et diverses sources sur Internet. 46

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22 spectateurs et c’est par les nombreuses antennes paraboliques que les centaines de séries se passant dans un hôpital ou de crime entrent dans les salles de séjour47.

Pour se mettre à jour sur les dernières sorties hollywoodiennes, les jeunes Algériens se servent de plus en plus du World Wide Web48. Depuis la montée de l’Internet dans les années 90, les industries cinématographiques – et surtout celle de Hollywood – ont vu baisser énormément leurs recettes à cause des téléchargements et du piratage. La question reste de savoir dans quelle mesure ce phénomène frappe le cinéma algérien, pour lequel l’intérêt semble moins grand, en tout cas parmi la jeunesse49.

En dernier, si le paysage cinématographique algérien a toujours été composé de plusieurs organismes, instituts, formations et associations publiques, depuis les années 90 il n’en reste pas beaucoup. L’Entreprise Nationale de Productions Audiovisuelles (ENPA), l’Agence Nationale des Actualités Filmées (ANAF), la Fédération des ciné-clubs, l’union syndicale et professionnelle et bien sûr le CAAIC disparaissent les uns après les autres. Cela s’explique par le fait que l’État algérien a été forcé de couper dans le budget national. Impuissant face à la double crise – politique et financière – on n’a pas les moyens financiers pour soutenir le cinéma.

Par conséquent, le métier de cinéaste en Algérie est devenu de plus en plus difficile. Beaucoup de professionnels sont partis à l’étranger et une nouvelle génération se fait attendre : les quelques jeunes cinéastes actifs se concentrent plutôt sur les courts et moyens métrages ou sur les documentaires, qui sont un peu plus faciles à financer. Ceux qui désirent faire des longs métrages deviennent eux-mêmes producteurs ou cherchent leurs partenaires en Europe50. C’est pourquoi, depuis quelques années, l’appel pour des mesures politiques se fait de plus en plus entendre : selon les professionnels, l’industrie cinématographique est en pleine crise et ce n’est qu’avec un bon encadrement par l’État que l’on peut lui insuffler une nouvelle vie51

.

Depuis 2004, heureusement, la ministre de la Culture, Khalida Toumi, semble s’efforcer de plus en plus à mettre en place une vraie ‘politique cinématographique’52. Cette année a été créé le Centre National du Cinéma et de l’Audiovisuel (CNCA) qui a remplacé le CDC, fondé en 1968. Cet organisme s’occupera de la réhabilitation des salles et de la promotion du cinéma algérien. Avec la création de l’Institut Supérieur des Métiers des Arts du Spectacle et de l’audiovisuel (ISMAS) et l’attrait de formateurs étrangers, Toumi espère améliorer la formation

47 GEMMILL, M. (2009), « Victime de la forte concurrence de l’Amérique et de l’Europe. Les téléspectateurs

algériens découvrent le cinéma africain », dans La Tribune, le 16 juillet 2009

48 SOLTANI, D. (2009), « Piratage des films sur Internet. Les Algériens plus au fait de l’actu cinéma », dans Le

Midi Libre, le 22 janvier 2009

49 Ibid.

50 BENZIANE (2001), p.85

51 Interview avec Belkacem Hadjadj par Farouk Belhabib, dans AsaruCinéma, no.4, décembre 2007, p.38-42 52

(23)

23 et faire naître une nouvelle génération de cinéastes. Elle a formulé par décret des conditions pour l’organisation des festivals culturels et a annoncé vouloir construire des studios et reprendre une centaine de salles de cinéma sous sa tutelle.

Les dernières années, on a constaté « les signes évidents de la renaissance de la

cinématographie nationale »53 : plusieurs festivals sont nés, comme le FNCAFA en 1999 ou le Festival du film arabe en 2007, et les ciné-clubs refleurissent partout. En plus, de nouvelles revues de cinéma sont nées, telles que AsaruCinéma, Passerelle ou Amwaj, et les associations, telle que l’Association des Réalisateurs et Producteurs Algériens (ARPA) se remobilisent.

L’année 2007 fut très importante puisque la manifestation ‘Alger, capitale de la culture arabe’ a donné une impulsion extraordinaire : pas moins de 68 films ont été réalisés dans le cadre de cet événement unique, dont 20 longs métrages. En réaction, le ministère de la Culture a décidé d’augmenter le budget du FDATIC. En décembre 2010, la seule loi portant sur la cinématographie, datant de 1967, fut amendée et modernisée. Le projet de loi, proposant une ‘centralisation’ de la production et de la distribution des films et un taux de 5% sur les rentrées publicitaires, réservé pour le financement du cinéma, fut adopté par la majorité de l’Assemblée. Par contre, si d’une part, les professionnels sont d’avis que le cinéma algérien ne peut survivre qu’avec l’aide de l’État, de l’autre, ils craignent un renouveau du contrôle étatique54

.

Toutes ces mesures ne concernent que le cinéma en Algérie en général. C’est-à-dire que la promotion du cinéma francophone en particulier ne reçoit guère d’attention et reste une affaire pour des instituts francophones, surtout de l’étranger. Il n’existe qu’un seul festival de film francophone – les ‘Journées du film francophone d’Alger’ depuis 2007 – et son organisation et financement sont pris en charge par les ambassades du Canada et de la France. Pour le financement de leurs projets – francophones ou pas –, les cinéastes peuvent s’adresser à des fonds, tels que le Fonds Francophone d’Aide au Développement Cinématographique, le Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud de l’OIF, ou le Fonds Sud Cinéma de la France. La plupart des longs métrages francophones des années 2000-2010, qui se déroulent en Algérie, – 33 au total – sont (co)produits à l’étranger. Le Harem de Mme Osmane (2000) de Nadir Moknèche se déroule à Alger mais est tourné entièrement au Maroc. Rachida (2002) de Yamina Bachir Chouikh est financé par le Fonds Sud et sort en France en 2003, profitant de la promotion pendant l’événement ‘Djazaïr 2003, une Année de l’Algérie en France’. Des cinéastes beur tels que Yamina Benguigui, Rabah Ameur-Zaïmeche ou Rachida Krim tournent parfois en Algérie, mais cherchent leurs bailleurs de fonds en France. Le Centre National du Cinéma et de

53 BENSALAH (2008), p.14

54 AUTEUR INCONNU, « Nouvelle loi sur le cinéma. Elle divise professionnels et observateurs »,

(24)

24 l’image animée (CNC) a (co)financé de nombreux projets depuis sa création en 1946. Ainsi, le cinéma algérien francophone – le cinéma beur y compris – est devenu un cinéma ‘transnational’, car aucun long métrage ne peut plus être considéré comme 100% algérien et francophone.

1.3.3 État des lieux actuel du cinéma franco-algérien

Depuis les années 70, quelques dix ans après sa naissance en 1962, le cinéma franco-algérien – en Algérie et en France – a fait l’objet de nombreuses études et d’articles scientifiques, dont nous essayerons de donner un aperçu global. Nous ne prétendons absolument pas avoir fait une bibliographie exhaustive et complète, mais nous voulons montrer ce qui a déjà été écrit sur le cinéma algérien et ce que nous espérons y ajouter.

Au cours des années, plusieurs ouvrages et articles descriptifs du cinéma national de l’Algérie en général – sur sa naissance et son développement – ont été publiés : de la Naissance

du cinéma algérien (1971) de Rachid Boudjedra à l’article d’Abdou Benziane en 2001 : « Le

cinéma algérien : de l’Etat tutélaire à l’état de moribond ». Par contre, les ouvrages qui ont pour objet le cinéma algérien en soi, sont rares ; la plupart le mettent dans un contexte maghrébin, arabe ou africain. Ainsi, Denise Brahimi – maître de conférences à l’Université Paris VII – a publié Cinémas d’Afrique francophone et du Maghreb en 1997 et 50 ans de cinémas maghrébins en 2009. Roy Armes, professeur à Londres, a écrit une vingtaine de livres sur le cinéma et est lié à l’Association des Trois Mondes (ATM), qui édite des dictionnaires – le premier Dictionnaire du cinéma africain en 1991 – et la revue Images Nord-Sud. Dans Cinémas du Maghreb. Images

postcoloniales (2006), il traite les trois cinémas nationaux de leur naissance à 2002, en ajoutant

une filmographie.

En plus, de temps en temps, un hors-série ou un numéro thématique est publié, parfois autour d’un événement unique. Dans le cadre de Djazaïr, l’Année de l’Algérie en France, la revue Cahiers du cinéma a consacré en 2003 un hors-série au 7e art algérien, intitulé ‘Où va le

cinéma algérien ?’. Sous la direction de Michel Serceau – enseignant spécialisé en cinéma –, la

revue CinémAction a publié ‘Cinémas du Maghreb’ en 2004.

Deuxièmement, beaucoup d’ouvrages ont abordé un thème particulier du cinéma algérien. Nombreux sont les livres et les articles qui ont été consacrés à la guerre d’Algérie : La guerre de

l’Algérie à l’écran (1997) par Guy Hennebelle est un ouvrage assez détaillé qui ne traite pas

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25 ou Le corps, l’histoire, le territoire : les rapports de genre dans le cinéma algérien (1994) de Ratiba Hadj-Moussa en sont deux exemples.

Pour le cinéma beur, Carrie Tarr est sans doute la grande spécialiste : dans son ouvrage

Reframing difference – Beur and banlieue filmmaking in France (2005), elle montre des

thématiques récurrentes à l’aide de plusieurs exemples de films. En plus, son étude contient une filmographie du premier court métrage beur en 1981 aux longs métrages en 2003.

Depuis le nouveau millénaire – l’ère de la mondialisation –, beaucoup d’études et d’articles mettent le cinéma beur dans un contexte ‘global’ et ‘transnational’ : Locating the postcolonial in

transnational cinema: the place of Algerian émigré directors in contemporary French film

(Higbee, 2007), Mapping beur cinema in the new millennium (Murray Levine, 2008), New

spaces for French and francophone cinema (Austin, 2009). Aujourd’hui, les films à 100% de

telle ou telle nationalité sont rares et les thématiques abordées deviennent de plus en plus universelles.

En dernier, nous voudrions mentionner quelques revues spécialisées auxquels de nombreux spécialistes ont contribué avec des articles. En Algérie, la critique cinématographique a longtemps été absente, faute de spécialistes critiques et d’argent. Aujourd’hui, on y compte pourtant trois revues cinématographiques, dont AsaruCinéma est la plus connue. Cette revue francophone – relativement jeune – se concentre sur le cinéma algérien en général, mais en particulier sur le cinéma amazigh. À l’étranger, on trouve régulièrement des contributions concernant le cinéma algérien dans des revues cinématographiques telles que CinémAction ou

Cahiers du Cinéma, mais aussi dans des magazines scientifiques tels qu’Annuaire de l’Afrique du Nord ou French cultural studies.

Ce qui est étonnant, c’est qu’aucun de ces ouvrages ou articles ne semble mettre l’accent sur le cinéma francophone en particulier. Les filmographies ne font pas la distinction entre les films arabes, amazighs ou français. Nous ne voulons pas dire que le français y joue forcément un rôle particulier ou que les films tournés en français sont tellement différents – le choix du réalisateur algérien d’opter pour le français est souvent pour des raisons pratiques ou financières – mais ce sera quand même intéressant de regarder le cinéma de l’Algérie à travers des lunettes francophones. John Kristian Sanaker, professeur de littérature française à l’Université de Bergen et spécialiste en cinéma et dans la francophonie vient d’ailleurs de publier un ouvrage – La

rencontre des langues dans le cinéma francophone (2011) – dans lequel il regarde la façon dont

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En conclusion, parcours et choix de cette étude :

Pour dresser le bilan et constituer une filmographie de longs métrages55, nous avons d’abord déterminé nos critères, puis consulté de nombreuses sources pour rassembler les informations nécessaires. Contrairement au Maroc, qui dispose du CCM et donc de publications et statistiques officielles, l’Algérie ne connaît pas un tel organisme, ce qui rend nos recherches un peu plus compliquées. En plus, nos sources sur internet se contredisent parfois – surtout en ce qui concerne le genre ou l’année de production d’un film –, donc notre filmographie ne sera probablement pas complète ou à 100% correcte. Parmi les sources utilisées, on compte entre autres les filmographies de Roy Armes (2006) et Carrie Tarr (2005), la filmographie du site de Littératures du Maghreb (2002), la base de données cinématographiques sur Internet (IMDb) et plusieurs autres sites tels que africultures.com ou africine.org, qui disposent d’une importante archive en ligne.

Les films que nous avons admis dans notre filmographie sont tous des longs métrages francophones ; c’est-à dire qu’ils ont une durée de plus de 60 minutes et qu’ils sont majoritairement d’expression française56. Dans cette catégorie, nous avons pris les films qui se déroulent en Algérie d’une part – réalisés par des cinéastes algériens, étrangers ou d’origine algérienne – et les films tournés en France par des cinéastes algériens ou d’origine algérienne d’autre part.

De cette manière, nous avons dressé une liste d’environ 90 longs métrages sur la période de 1990 à 2010, c’est-à dire 21 ans. Nous y distinguons cinq catégories, indiquées par des signes : les cinéastes algériens travaillant en Algérie (4 films) ; les cinéastes algériens résidant à l’étranger (30 films), les cinéastes beur (43 films), les cinéastes français (10 films) et les cinéastes français pied-noir (3 films). Et en dernier, nous avons relevé les cinéastes féminins (14 films produits ou coproduits).

55 Annexe 1 56

Referenties

GERELATEERDE DOCUMENTEN

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