Plusieurs scientifiques et spécialistes du monde entier se sont intéressés à la question de l’intégration au travail des personnes handicapées. Comment expliquer le taux élevé d’inactivité ou encore de chômage chez les personnes handicapées ? Comment expliquer cette pauvreté chez cette population malgré les mesures prises par nos gouvernements respectifs afin de faciliter leur employabilité ? Une revue de la littérature scientifique amène à considérer plusieurs approches du même objet d’étude.
1.3.1 LES SCIENCES SOCIALES ET L’INTÉGRATION AU TRAVAIL DES PERSONNES HANDICAPÉES
Certains scientifiques, tels Romien (2005) ou encore Sticker (2006), ont priorisé une approche prenant en compte la législation et les politiques favorisant l’intégration des personnes handicapées au travail. L’investigation de Sticker a permis de soutenir que les pays appliquant une politique de quotas sont plus performants en termes de résultats positifs à l’emploi que les pays privilégiant un incitatif financier, mais que le travail à long terme doit parier sur la non-discrimination. Tandis que pour Romien (2005), les personnes handicapées disposent, grâce à la législation française actuelle, de moyens de réinsertion plus complets qu’ils ne l’étaient historiquement, mais celle-ci compte encore une lacune importante et qui perdure. Les redevances perçues par le gouvernement dans le cas d’entreprises ne respectant pas le pourcentage prévu par la loi sont maintenant investies dans un fonds spécial. Ce fonds rend possible la réinsertion au travail des personnes handicapées, entre autres par une formule de formation professionnelle. Néanmoins, malgré ces avancées quant à l’employabilité des personnes handicapées, le droit exutoire des entreprises existe toujours depuis la législation de 1924. Autrement dit, les entreprises françaises peuvent encore de nos jours faire le choix de
verser l’amende au gouvernement et ainsi se soustraire à l’obligation d’employer un pourcentage de personnes handicapées bien que cette dimension législative remonte à près d’un siècle.
De son côté, Grapin (2004) a choisi une approche de l’intégration au travail des personnes handicapées en termes économiques. Selon Grapin (2004), le haut taux de chômage touchant la population handicapée en France est le résultat d’un déséquilibre structurel entre l’offre et la demande d’emploi. Pour régler la situation difficile que les personnes handicapées entretiennent avec l’emploi, il faudrait d’abord investir dans notre système d’éducation plutôt que d’expliquer ce phénomène uniquement en termes de discrimination liée à la prévalence du handicap. Il conclura que le manque de main-d’œuvre en France dû au vieillissement de la population fera en sorte que plusieurs postes dans toutes les catégories d’emploi seront accessibles. La population handicapée dotée dorénavant d’une formation générale et professionnelle se verra accorder une plus grande place à l’intérieur du marché du travail.
D’autres encore, Lancry-Hpestlandt et Akiki (1994), Raskin (1994) et Kerroumi (2001), ont quant à eux centré d’abord leur analyse sur l’adaptabilité du milieu de travail. Kerroumi (2001), en aval de son investigation sur la question de l’intégration au travail des personnes handicapées, conclura notamment que l’absence d’une stratégie efficiente au sein des grandes entreprises est à l’origine d’une certaine marginalisation, voire d’une exclusion des personnes handicapées. De son côté, Raskin (1994) entendra que pour surmonter les barrières comportementales, nous devons d’abord miser sur le placement stratégique des personnes handicapées à des postes de responsabilité. L’affectation de quelques personnes handicapées à des postes supérieurs où elles sont quasi absentes pourrait provoquer plus de changement qu’une multitude de personnes handicapées travaillant au bas de l’échelle. L’auteur défend l’idée qu’en exigeant la présence des personnes handicapées dans des emplois déterminés, tel un poste de direction, favoriserait l’abaissement des barrières structurelles. Il propose donc un modèle se basant sur un pourcentage de personnes handicapées non pas en ce qui a trait à l’entreprise, mais aux catégories d’emplois, et ce, concernant les actions positives. Enfin, Lancry-Hpestlandt et Akiki (1994) croient que l’intégration au travail a d’abord le sens d’adaptation à un environnement, d’interactions avec les autres acteurs de ce contexte et des
caractéristiques physiques, intellectuelles et mentales de la personne. Toutes ces caractéristiques sont omniprésentes lorsque l’on parle d’intégration au travail des personnes ayant des limitations importantes.
Pour certains, les représentations sociales des personnes handicapées retrouvent leur origine dans les structures économiques. Pour d’autres, c’est notamment l’organisation des entreprises qui est fautive. Pour d’autres encore, c’est la législation qui est anémique. C’est dire également à quel point l’intégration au travail des personnes handicapées ouvre la porte à un riche débat scientifique. La psychologie ne manque pas à l’appel.
1.3.2 LA PSYCHOLOGIE ET L’INTÉGRATION AU TRAVAIL DES PERSONNES HANDICAPÉES
Le concept de représentation sociale est repris en psychologie par certains scientifiques dans le but d’expliquer les obstacles professionnels rencontrés par la population handicapée. Ravaud, Ville et Jolivet (1995) ont traité de l’intégration au travail des personnes handicapées en termes de discrimination à l’embauche. La représentation des personnes handicapées qu’entretiennent les employeurs serait-elle à l’origine du traitement discriminatoire vécu par cette population lors de leur recrutement ? Il apparait clairement aux auteurs à la suite de leur expérimentation portant sur 2228 entreprises françaises, qu’il existe une forte discrimination des employeurs vis-à-vis des demandeurs d’emploi handicapés. La mention de handicap a eu des répercussions majeures sur les chances de succès d’une demande d’emploi. Cette discrimination, selon eux, permet de mieux expliquer la situation du haut taux de chômage affectant les personnes handicapées.
Pour sa part, Mercier (1997) a analysé les représentations des employeurs et des personnes handicapées en matière d’emploi et de handicap en Belgique. L’étude de Mercier souligne que les représentations sociales négatives des employeurs par rapport au handicap et aux personnes handicapées sont en quelque sorte intériorisées par les personnes handicapées, ce qui a pour effet de freiner leur recherche d’emploi. Dans cet esprit, les représentations sociales sont des freins à l’emploi. Il s’agit d’images et de stéréotypes véhiculés à propos du handicap qui freinent la personne handicapée dans l’accomplissement de sa vie professionnelle.
Enfin, Grawez (2000) s’est aussi penché sur la question de l’offre de travail des personnes handicapées physiques en Belgique. Son interrogation générale était de savoir si le peu de personnes handicapées au travail vient du manque de demande de la part des employeurs ou au contraire de la faiblesse de l’offre de travail de la part des personnes handicapées. En aval de son analyse empirique, l’auteur a pu établir une typologie des représentations que les personnes handicapées ont du travail. Il conclura notamment qu’une dimension du problème de la mise au travail pour certaines personnes handicapées trouverait son origine dans l’insuffisance de leur offre de travail, due à des facteurs affaiblissants tels qu’une formation anémique, les échecs professionnels, etc. Par ailleurs, certaines personnes handicapées sont actives professionnellement, mais doivent subir le peu d’intérêt des employeurs à leur égard.
À la suite de la présentation de ces travaux scientifiques qui viennent nourrir le débat scientifique portant sur l’intégration et le maintien au travail des personnes handicapées, il devient possible de pousser plus loin notre réflexion et tenter de cerner comment les représentations sociales sont influencées par le territoire ? À titre d’exemple, les représentations sociales des personnes handicapées sont-elles de même nature et de même intensité en Belgique et aux États-Unis, ou encore en France et au Québec ? Encore, les représentations sociales sont-elles les mêmes dans un territoire donné où les liens de solidarité sont plus importants que dans une autre région ? Le territoire en tant que milieu de vie individuel et collectif est un élément à considérer permettant de mieux comprendre les fondements des représentations sociales.
Comme nous l’avons vu, le concept de représentation sociale a guidé la recherche de Kabano et Beaton (2007) afin de cerner des obstacles psychologiques persistants à l’intégration à l’emploi des personnes handicapées. Ce concept a également permis aux auteurs de circonscrire deux territoires de type rural, soit le Bas-Saint-Laurent au Québec et la région Péninsule acadienne/Grand Moncton au Nouveau-Brunswick. Le territoire québécois n’est cependant pas que rural. Selon Tremblay et Van Schendel (2004), les 17 régions administratives du Québec sont marquées par des caractéristiques en termes de superficie et de densité de population quelquefois très opposées. De plus, selon Di Méo (2008), la géographie
sociale met l’accent sur les interactions de rapports sociaux et spatiaux. Elle accorde une place privilégiée aux acteurs, à leurs représentations, à l’action sociale et aux systèmes territorialisés. Il s’est donc avéré pertinent de poursuivre le développement des connaissances en mettant en œuvre une recherche permettant de cerner les représentations sociales de personnes handicapées à propos du travail dans deux territoires de nature très différente.